C'est à la suite d'une résidence d'écriture à l'hôpital psychiatrique Esquirol de Limoges que le Français Filip Forgeau a écrit Un atoll dans la tête, très touchant récit poétique porté sur la scène en 2007 à Bellac. Et présenté ici dans une dizaine de jours à l'Espace libre.

Ce projet fou, sans mauvais jeu de mots, est le fruit d'une heureuse initiative du gouvernement français, qui a mis sur pied, il y a quelques années, un programme appelé Culture à l'hôpital.

C'est grâce à ce programme que Filip Forgeau (ainsi que trois autres auteurs) s'est retrouvé «en résidence d'écriture» à l'hôpital psychiatrique Esquirol de Limoges à l'été 2005.

Là, pendant un mois, il a vécu parmi les patients et le personnel soignant de l'hôpital - médecins, infirmières, ambulanciers, etc. L'objectif: en ressortir, bien sûr, mais avec la matière d'une création. Ce qui fut fait.

Mais comment l'auteur, metteur en scène et comédien d'Un atoll dans la tête a vécu ce passage «de l'autre côté» ?

«C'est sûr qu'on ne sort pas indemne d'une expérience comme celle-là, nous dit Filip Forgeau, joint par téléphone, en France. Il y a évidemment des gens qui consultent et qui sortent. Mais c'est quand même un lieu d'internement, coupé du monde, où il y a un manque de liberté.»

«Je me suis beaucoup questionné sur le «dedans» et le «dehors». Surtout, de cette barrière entre les deux qui peut vite être franchie. Sur ce qu'est vraiment la folie aussi. Je vous dirais qu'on sort de cette aventure avec beaucoup d'humilité. En questionnant son propre rapport au monde.»

Logeant dans le pavillon des ambulanciers, qui a donné son nom à la collection qui regroupe tous les textes publiés dans le cadre de ce programme (dont celui de la québécoise Lise Vaillancourt), Filip Forgeau a donc déambulé dans cet hôpital, observant, écoutant, discutant, écrivant.

«J'ai rencontré des gens très accueillants et très ouverts à ce projet, que ce soit des patients ou des soignants, et d'autres qui n'en avaient rien à foutre de la culture à l'hôpital. J'ai quand même senti que nous étions d'autres intermédiaires pour libérer la parole; parce que nous ne portions pas la blouse blanche du corps médical.»

Spontanément l'homme de théâtre engagé (auteur d'une quinzaine de pièces, dont sa plus récente Tout foutre en l'air), s'est intéressé au point de vue du patient ou du malade pour camper son personnage principal appelé Zippo, «parce qu'il a un incendie dans la tête».

«Dans un monde très formaté, où il y a de plus en plus de codes et d'interdits, c'était important pour moi que celui qu'on dit fou puisse prendre la parole, nous dit Filip Forgeau. Pour montrer la frontière ténue entre ces deux paroles. Où le fou n'est pas toujours celui que l'on croit.»

Ce Zippo, interprété par Forgeau lui-même, parle beaucoup à la première personne. Mais il interagit avec des ambulanciers, des médecins, une femme qu'il voit dans ses songes... et même avec son double, Otto, car il souffre de schizophrénie. Tous ces autres personnages sont interprétés par Soizic Gourvil et Hervé Herpe.

Le spectacle d'Un atoll dans la tête, où la musique et la vidéo sont très présentes, a aussi permis à son auteur d'explorer les mécanismes d'évasion de l'esprit. Qui permettent à l'être humain de continuer de vivre.

«Même s'il quelqu'un est enfermé dans son corps, sa pensée n'est jamais prisonnière, mais toujours libre. Je veux dire qu'il y a de quoi devenir fou si on apprend qu'on va être enfermé pendant 10 ans! Ce qui peut nous sauver, c'est de savoir que l'esprit peut vagabonder, s'évader et inventer un monde, sinon je pense qu'on meurt.»

Un atoll dans la tête, de la Compagnie du Désordre, à l'Espace libre du 25 au 29 mai.