Les mots et l'esprit de Boris Vian se portent bien. Son discours antimilitariste est toujours pertinent. Son sens de la formule, intact. Comme lorsqu'il écrit que les soldats d'aujourd'hui sont «les ratés de la guerre précédente», ou encore que «rien ne désorganise l'armée comme la guerre».

La scène d'ouverture du spectacle donne le ton. Dans un décor assez minimaliste, les 11 comédiens interprètent en choeur La marche arrière. Reposant dans des sacs de toile blanche, ces cadavres s'animent au son de la musique, regrettant d'avoir fait la guerre: «C'est la marche des p'tits gars qui croient qu'on est bien mieux chez soi...»

Sur scène, trois musiciens battent la mesure, sur des airs de jazz et de swing.

Et Vian! dans la gueule, concocté par Carl Béchard - qui a monté une version similaire en 1995 avec les comédiens du Groupe Audubon -, est un spectacle en mouvement extrêmement bien rythmé, qui fait rejaillir les mots à la fois suaves et abrasifs de l'ingénieur-auteur-poète et chanteur hors norme, mort à seulement 39 ans.

Ce «collage» nous permet de plonger dans un univers satirique, qui repose essentiellement sur la pièce Le goûter des généraux, dans laquelle on a inséré des chansons (dont La java des bombes atomiques) et des poèmes (comme Je voudrais pas crever et Le temps de vivre) qu'interprètent avec un plaisir évident les comédiens, tous très solides.

La question qui brûle toutes les lèvres: alors, comment s'en sort Marc Béland?

Le comédien, qui a dû remplacer au pied levé son collègue Pierre Lebeau (qui s'est désisté pour des raisons de santé), et qui n'a eu droit qu'à trois semaines de répétition, s'en tire plutôt bien dans le rôle du général James Audubon, lui donnant des airs de gamin niais totalement soumis à sa mère (excellente Bénédicte Décary).

Marc Béland s'est rapidement imprégné des mots de Vian. Mais après la première heure (de la représentation de jeudi dernier), il joue avec son texte en main. Notez : ce ne sera peut-être plus le cas cette semaine. Habile, il parvient presque à transformer sa pile de feuilles en accessoire, comme s'il s'agissait de son plan de guerre...

Malheureusement, cette «dépendance» au texte écrit finit par affadir son personnage de général, relégué à l'arrière-plan bien malgré lui.

En attendant que le comédien donne sa pleine mesure, ses collègues prennent naturellement plus de place, ce qui n'est pas une mauvaise chose: Emmanuel Bilodeau, Sylvie Drapeau, Pierre Chagnon et Pascale Montpetit se démarquent tout particulièrement, superbes pantins de cette presque farce.

Faire la guerre à l'Afrique

Rappelons la trame de fond. Nous sommes en temps de paix. La présidente du Conseil (virile Sylvie Drapeau), soucieuse de régler un problème de surproduction agricole et industrielle, se dit qu'une guerre serait une bonne idée. Elle confie cette tâche au général Audubon. Qui invite ses collègues à un goûter pour régler les détails.

Mais contre qui la faire, cette guerre? On n'y avait même pas pensé... La présidente convie les généraux de plusieurs pays pour la leur proposer. Mais les États-Unis, la Russie et la Chine refusent. Ils proposent de faire la guerre à l'Afrique. Vous le devinez, on nage en plein humour absurde.

La mise en scène de Carl Béchard lie tous ces morceaux épars, qui font partie de l'oeuvre de Boris Vian, en un tout relativement cohérent, même si certaines transitions sont plus cahoteuses. Les portions chantées du spectacle sont particulièrement réussies, même si les comédiens chantent faux dans les numéros individuels.

Un irritant : les acteurs jouent avec des micros qui ne sont pas au point. Ou alors ils le sont, mais le résultat est médiocre. Peu importe, de nombreuses répliques se perdent dans l'écho de la salle. Tous les comédiens ont suffisamment de coffre pour bien diffuser leur voix. Exit les micros.

______________________________________________________________________________________________________

Et Vian! dans la gueule, au TNM jusqu'au 22 mai.