Trois petites semaines avant la première de Et Vian! dans la gueule, qui prend l'affiche mardi au TNM, le metteur en scène Carl Béchard a dû changer l'acteur qui devait tenir le premier rôle. Son «plan b»? Marc Béland, qui a remplacé au pied levé Pierre Lebeau dans le rôle du général Audubon. Une situation exceptionnelle, un sujet délicat.

Au début du mois d'avril, quand Marc Béland a reçu un coup de fil de Carl Béchard, sa première réaction a été de se demander sur quoi travaillait le metteur en scène. Ah oui! Vian! L'instant d'après, il devinait l'objet de cet appel. «Je me suis dit qu'il devait y avoir un problème», raconte le comédien.En effet, et ce n'était pas une broutille: sur l'avis de son médecin, Pierre Lebeau, qui devait tenir le premier rôle dans Et Vian! dans la gueule, était forcé de se retirer. La nouvelle a été officialisée quelques jours plus tard. Le 8 avril, un communiqué diffusé par le TNM confirmait que «pour des raisons de santé», l'acteur devait abandonner une production dont il était le visage. C'est encore lui qu'on voit sur l'affiche placardée partout en ville, d'ailleurs.

Ce que le communiqué ne raconte pas, c'est le casse-tête logistique et surtout émotif qu'un tel changement implique. Pierre Lebeau n'est certes pas le premier acteur à devoir être remplacé peu avant une première. Le rôle de «plan b», il le connaît d'ailleurs très bien, pour avoir dépanné plus d'une fois le metteur en scène Denis Marleau (lire ce texte). La vieille complicité entre Carl Béchard et lui rendait toutefois la situation particulièrement délicate.

«Pierre est un ami, c'est ce qui est dur, admet le metteur en scène, qui a beaucoup joué avec lui au tournant des années 90 dans des spectacles du Théâtre UBU. Il était difficile pour moi de me rendre compte que je devais inciter Pierre à prendre cette décision-là. Par amitié et par responsabilité pour le show. Et lui, par amitié, ne voulait pas me faire ça.»

«Des deux côtés, ils se sont rendu compte que c'était la solution», précise toutefois Marcel Hubert, l'agent de Pierre Lebeau, Carl Béchard... et Marc Béland. La grande fatigue de Pierre Lebeau, qui a eu un horaire chargé au cours des deux dernières années (en raison de Paradis perdu, notamment), se manifestait déjà en répétition. L'acteur, pourtant réputé pour sa mémoire phénoménale, avait de la difficulté avec son texte. Sans compter que Et Vian! dans la gueule sera un spectacle très physique.

Pompier volontaire

Que Marc Béland soit disponible pour jouer le général John James Audubon de la Pétaradière-Frenouillou était «inespéré», selon Carl Béchard. Sept semaines de répétitions avaient déjà eu lieu, mais il en restait quand même trois. Le costume conçu pour Pierre Lebeau pouvait encore être ajusté à la taille de Marc Béland. «Tout s'est mis en place assez facilement, raconte le comédien. Je me sentais vraiment comme un pompier volontaire.»

Sauter dans un train déjà en marche ne le trouble pas outre mesure. «La forme du cabaret poétique fait que c'est la parole qui est mise de l'avant, ce n'est pas psychologique, il n'y a pas de travail intérieur qui demande beaucoup de mise en état ou de préparation, souligne-t-il. Il y a ce côté immédiat de la prise de parole auquel j'ai accès assez facilement et qui me plaît beaucoup.»

Carl Béchard confirme que la forme du spectacle, qui est un collage de textes, de poèmes et de chansons de Boris Vian, joue en faveur de tout le monde dans la situation actuelle. Que Marc Béland n'ait ni le physique, ni la voix, ni la même énergie que Pierre Lebeau ne provoque donc pas de changement fondamental dans le ton du spectacle. Les choses n'auraient peut-être pas été aussi simples s'il avait dû remplacer un Roméo ou une Juliette dans un Shakespeare.

D'avoir Marc Béland dans son équipe constitue «une très belle» conclusion à un épisode délicat, selon Carl Béchard. «Il possède une énergie inspirante et il est un modèle de travail. Il n'est pas le seul, il y en a d'autres dans le groupe, mais il est important que le rôle principal soit un modèle et porte l'esprit du spectacle.»