Créée pour les derniers Coups de théâtre (en 2008), L'ombre de l'escargot, de la compagnie Nuages en pantalon, a pris l'affiche de la Maison Théâtre mercredi, après avoir offert une quarantaine de représentations au Québec et en France. Théâtre d'ombres et de sensations, ce spectacle essentiel qui traite de la différence ne laissera personne indifférent.

Le nom de la compagnie à lui seul mérite qu'on s'intéresse à cette production: Nuages en pantalon. C'est en s'inspirant d'un poème du dramaturge géorgien, Vladimir Maïakovski, que les fondateurs de cette troupe de Québec - Jean-Philippe Joubert, Valérie Laroche et Claudia Gendreau - ont trouvé ce nom évocateur, sans savoir où ces nuages les mèneraient...

Sept ans plus tard, voilà que Jean-Philippe Joubert écrit et met en scène la huitième production de Nuages en pantalon, L'ombre de l'escargot, inspirée de la vie de sa jeune soeur Sophie, lourdement handicapée depuis sa naissance (elle souffre du syndrome de Rett, une maladie génétique neurologique). Cette pièce, il l'a d'abord écrite pour elle.

«J'avais envie d'en parler depuis longtemps, confie l'auteur. Mes premiers essais, je les ai faits à l'école de danse il y a une dizaine d'années, mais le résultat n'était pas très concluant. Finalement, j'ai réussi à créer un univers, un texte, mais aussi un spectacle sensoriel, qui nous permet, au-delà des mots, de ressentir des émotions. Par des mouvements, des images, de la musique.»

L'histoire est assez simple: un jeune garçon (Maxime Allen) veut offrir un cadeau à sa soeur handicapée à l'occasion de son anniversaire, mais il ne sait pas quoi lui acheter. Difficile en effet de communiquer avec elle puisqu'elle ne s'exprime qu'avec ses yeux et ses mains. Il finit par lui donner une boîte à musique, avec une petite figurine de ballerine. Cette ballerine prendra vie et tentera d'apprivoiser l'enfant handicapée.

«C'est une pièce sur le regard et le jugement qu'on peut avoir sur les autres, explique le comédien et metteur en scène. Cette petite fille handicapée, à quoi elle rêve? Comment elle voit le monde? Ce sont des questions que je me suis toujours posées à propos de ma soeur. Pour créer son personnage (interprété par Sonia Montminy) je me suis inspiré autant des choses que je sais de ma soeur, que des choses que je ne sais pas.»

La ballerine qui prend vie (Émilie Lévesque) est un peu l'extension du petit garçon et représente tout ce qu'il y a de plus parfait et de rigoureux. Cette ballerine venue d'on ne sait où (elle a un accent d'Europe de l'Est) tentera de faire danser la petite comme elle. «Évidemment, elle échouera lamentablement nous dit Jean-Philippe Joubert. Jusqu'à ce qu'elle accepte qu'elle ne dansera jamais comme elle, qu'il n'y a pas une seule façon de danser, comme il n'y a pas une seule façon d'être.»

Avec sa trame narrative classique et sa trame sensorielle, Jean-Philippe Joubert a voulu créer une pièce qui s'adresse à la fois aux enfants «normaux» et handicapés. Pendant plus de deux ans, il a procédé à de nombreuses expériences (ateliers, courtes représentations) auprès de ces deux publics pour être sûr de bien les rejoindre.

À l'automne 2008, peu avant la création, il a organisé une représentation juste pour sa soeur. Une expérience inoubliable, à la fois pour lui et pour les acteurs. «Elle était très attentive, se rappelle Jean-Philippe Joubert; ses mains étaient détendues; et puis on pouvait entendre à l'occasion de petits gloussements de rire. On savait que le spectacle fonctionnait.»

La métaphore de l'escargot est omniprésente dans le spectacle, et prend différents sens. Il y a, bien sûr, un lien entre la coquille de l'escargot et le fauteuil roulant de la petite fille; mais il y a aussi tout le mystère entourant la coquille, qui est un peu le monde intérieur de la fille handicapée. Une coquille qu'on ne peut pas arracher pour savoir ce qu'il y a à l'intérieur... sans tuer l'escargot.

«Au fond, nous dit Jean-Philippe Joubert, c'est l'occasion pour les enfants de se mettre, juste un instant, à la place de cette petite fille. D'apprivoiser son langage. Parce que finalement, on cohabite toute notre vie avec des personnes qui ont des handicaps. Ça vaut la peine d'en parler de temps en temps.»

L'ombre de l'escargot, de Nuages en pantalon, à la Maison Théâtre jusqu'au 25 avril. Pour les enfants de 5 à 9 ans.