Le sujet n'est pas gai. Sa déclinaison sur scène non plus. Mais le résultat est percutant. La vie des exilés politiques qui trouvent ici refuge n'a rien d'un conte de fées. Oui, ils ont la chance de repartir à neuf et parviennent souvent à panser leurs plaies. Mais ils restent longtemps habités par leur passé, douloureux.

C'est le cas de Francisco dans Le portier de la gare Windsor, un architecte uruguayen qui quitte son pays dans les années 70 à la suite d'un coup d'État. Au cours d'une violente répression civile, il perd son meilleur ami et laisse derrière lui un amour naissant, avant d'atterrir à Montréal.

Cette histoire poignante est inspirée d'une rencontre qu'a faite l'auteure et metteure en scène, Julie Vincent, avec cet homme «vagabond», présent lors de la première mercredi soir. Et manifestement ému (et nous donc!) à la fin de la représentation lorsque l'auteure l'a mené sur scène.

Admirablement bien écrit, ce drame poétique de Julie Vincent témoigne d'une véritable recherche, elle qui a fait quatre séjours en Uruguay pour mieux comprendre l'histoire de ce petit pays coincé entre le Brésil et l'Argentine. Et qui présentera la pièce en espagnol cet été.

Refaire sa vie...

Francisco parvient donc à refaire sa vie. Il s'ouvre un cabinet d'architecte (tout en se désolant du «désastre» architectural à Montréal); rencontre un médecin qui lui fait découvrir Beauté baroque de Claude Gauvreau (qu'il traduit en espagnol); et rencontre une femme dont il tombera amoureux et aura un enfant.

Sa rencontre avec Claire (interprétée avec justesse par Geneviève Rioux) est chargée de sensualité. Les meurtrissures de l'exilé rencontrent celles vécues par cette pianiste québécoise, violée lorsqu'elle était jeune. Comme quoi la torture peut être universelle.

... avant qu'elle ne bascule

Mais par un malheureux concours de circonstances, sa vie bascule. Au point où, après avoir été suspendu par son ordre professionnel, il abandonne tout, et vit dans l'itinérance, élisant domicile dans la gare Windsor. Ses blessures s'ouvrent alors au gré des multiples flash-backs qui le hantent.

La mise en scène est à la fois chargée et fluide. Il y a une esthétique baroque dans ces tableaux vivants tournés à la fois sur le passé et le présent. Avec le compositeur Michel Smith et la scénographe Geneviève Lizotte, Julie Vincent parvient à créer une véritable tension dramatique, allégée par des airs de tango.

L'action se passe principalement dans une gare (à Montevideo et à Montréal), mais la scène devient également un bureau d'architecte et un cabinet de médecin. Pour marquer les changements de scène, un flot de voyageurs marche dans des directions opposées, bagages en main. Génial.

Tous les comédiens sont solides. Mais Jean-François Casabonne vole la vedette. Il est tout simplement désarmant d'intensité dans la peau de cet homme instruit et sensible, mais aussi malade. Paranoïaque. Vagabond. Et parvient, sans pathos, à communiquer tout son désespoir.

Mentionnons également le jeu inspiré de Victor Andrés Trelles Turgeon et de Noémie Godin-Vigneau, tous deux très crédibles dans leurs doubles rôles, qui nous rappellent que même si on ne peut ressusciter les morts, on peut trouver sur son chemin des âmes soeurs.

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Le portier de la gare Windsor, à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, jusqu'au 30 janvier.