Tous les ingrédients du théâtre de Robert Gravel sont réunis dans la reprise présentée au Rideau Vert d'Il n'y a plus rien, troisième volet de sa Tragédie de l'homme, créée en 1992: un peu de cynisme, de tragique et de tristesse, enrobé d'humour et de beaucoup de tendresse.

Nous sommes à quelques jours de Noël, dans un hôpital «pour vieillards», Saint-Jacques-de-la-Providence. Les témoins du quotidien de cette micro-société emmurée: patients, infirmiers, préposés et visiteurs. Il n'y a pas vraiment d'action ni de personnage principal. Juste ce tableau vivant, agonisant.

Du banal à l'intéressant

C'est le tour de force de l'auteur et comédien, mort subitement en 1996, à peine passé le cap de la cinquantaine. Celui de nous intéresser à des personnages somme toute assez banals, des petites gens qui expriment, parfois avec rusticité, des sentiments profonds, universels. Entremêlés des silences bien réels de la vie.

Le metteur en scène Claude Laroche réussit à rendre intéressant le récit «plate» des 14 personnages d'Il n'y a plus rien. À commencer par Danièle Lorain, remarquable dans son rôle d'infirmière-réceptionniste - d'origine sud-américaine (?) -, Theresa Estrada-Suarez. Nonchalante à souhait, drôle et attachante.

Avec elle, Louis Champagne campe avec naturel le rôle de Gaby, infirmier gai, qui, lui aussi, se fiche complètement de ses patients, tout en étant à leur chevet... Autour d'eux, six «bénéficiaires», dont l'exubérante Mme Rose Caron, cardiaque diabétique, amputée d'une jambe, qui reçoit sans cesse des boîtes de chocolats!

Cette Mme Caron, interprétée par Claudine Paquette, «en beurre parfois épais». On comprend qu'elle mord dans la vie à pleines dents, excessive et libidineuse qu'elle est. Mais son jeu parfois trop caricatural détonne du «non-jeu» prôné par Gravel, qui fait la force des autres personnages d'Il n'y a plus rien.

Autour d'elle s'animent deux de ses nièces avec leurs chums (la pièce originale met plutôt en scène un neveu, Dédé, et une nièce, Monique); ces derniers, intéressés par l'argent de leur tante, passeront le plus clair de leur temps à dire des âneries et à faire beaucoup de bruit...

À côté de cette «bande de macaques», soeur Luc-Gabriel, qui souffre de sclérose en plaques, reçoit la visite de son frère, Théo Fontaine (excellent François Tassé). Pour son plus grand plaisir, Théo lui fait la lecture des rubriques nécrologiques... À la fois morbide et touchant. D'un autre rang, je veux dire manifestement plus instruit, il piquera une sainte colère contre la «gang» de Mme Caron. Mais, au fond, face à cette mort qui rôde dans les couloirs, ne sont-ils pas tous égaux?

D'autres moments forts sont assurés par Didier Lucien, dans son rôle du psychotique M. Zachary; Jean-Pierre Chartrand, tordant de vérité dans la peau de M. Vendette; Stéphane Jacques, efficace dans le rôle du comédien Sammy Benjamin, venu distraire les patients de l'étage - notamment en jouant un extrait de Polyeucte!

Toute cette histoire jouée «en temps réel» est faite de petits riens: Theo vide la bassine de sa soeur; M. Vendette se plaint d'avoir attendu deux heures pour qu'on lui enfile une paire de bas; M. Lussier cherche à faire fonctionner le téléviseur pour regarder la rétrospective de l'année; Mme Vachon attend en vain son frère; M. Gagnon fait pipi sur lui...

Ce sont précisément de ces petits riens que les personnages de Robert Gravel se nourrissent, prennent tout leur sens, et parviennent à nous émouvoir dans leur désir de vivre, d'exister.

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Il n'y a plus rien, de Robert Gravel. Mise en scène de Claude Laroche. Au Rideau Vert jusqu'au 19 décembre.