Avant la série Aveux, Serge Boucher avait beaucoup écrit pour le théâtre mais toujours dit non à la télévision. Même en disant oui à la SRC, il est passé à un doigt d'abandonner, au moins trois fois, un projet qu'il croyait ne pas maîtriser. Heureusement, Serge Boucher a persévéré et accouché, pour notre plus grand bonheur et le sien, de la série la plus fascinante de l'automne.

Serge Boucher, 46 ans, aime raconter qu'il est né à l'âge de 4 ans sur une banquette du resto Chez Denis, à Disraeli. Le restaurant appartenait à ses parents, Denis et Claire, et d'aussi loin qu'il se souvienne, tous ses souvenirs d'enfance partent de ce lieu qui lui offrait aussi bien des visages, des dialogues et des personnages qu'un point de vue sur le monde.

«Le resto était ouvert 24 heures sur 24. On l'appelait le Petit Montréal parce que le monde des environs venait y faire son tour. Moi, je pouvais passer des heures devant le passe-plat à regarder les habitués et les serveuses. Comme le resto servait aussi de terminus d'autobus, le vendredi soir, je voyais les topless débarquer avec leurs postiches et leurs talons hauts. Des années plus tard, à la polyvalente, quand j'ai découvert le théâtre de Michel Tremblay, c'était comme retrouver mon monde à moi.»

L'entrevue vient à peine de commencer, dans la salle de réunion d'une agence, que Serge Boucher m'a déjà déballé avec force détails et un regard attendri tout un pan de sa vie à Disraeli, à Victoriaville et même à Napierville, où il a enseigné le français au secondaire pendant 17 ans.

Constat: non seulement Serge Boucher est un auteur de théâtre prolifique qui a plus d'une demi-douzaine de pièces à son actif, mais il est un verbomoteur impénitent, voire un livre ouvert que l'autocensure ne semble pas avoir trop contaminé.

Pourtant, dans des pièces comme Motel Hélène ou 24 poses, ses personnages parlent abondamment, mais généralement pour ne rien dire ou pour cacher quelque chose: un malaise, un vide, une souffrance, un lourd secret de famille. C'est aussi le cas dans la série Aveux, l'histoire d'un jeune de 18 ans qui a fui sa famille d'adoption et qui, 10 ans plus tard, après avoir refait sa vie sous une autre identité, est rattrapé par son passé.

«Mon moteur, c'est d'abord et avant tout la cellule familiale, mais c'est vrai que j'ai une grande fascination pour le non-dit, pour ce qui est entre les lignes, pour le malaise, en fin de compte. Dans le cas d'Aveux, le malaise est dû à un énorme malentendu et au fait que, si tout le monde avait ouvert sa gueule au bon moment et avoué chacun sa petite affaire, on aurait évité bien des drames.»

Paradoxal

Ironiquement, celui qui sait si bien faire éclater les malaises sur scène ou au petit écran évite de le faire au quotidien.

«Ma plus grande peur, dans la vie, c'est de faire de la peine aux autres et de les blesser avec mes paroles. Je suis le dernier qui veut que ça pète dans les soupers de famille. Je sais que ça peut sembler paradoxal, mais disons que ce n'est pas le seul paradoxe qui m'habite. Enfant, une partie de moi voulait être Joël Denis et danser les claquettes, et l'autre partie voulait être moine.»

Joël Denis a gagné la première manche puisque, à l'adolescence, Boucher a effectivement remporté des championnats de danse à claquettes. À cette époque, ses parents avaient vendu leur resto et tenaient un dépanneur à Victoriaville. Serge, le plus jeune des trois enfants, avait un autre grand rêve après les claquettes: celui d'être le plus grand acteur au monde.

À 17 ans, il est accepté à l'Option-théâtre du cégep Lionel-Groulx et croit que son rêve est sur le point de se réaliser. Erreur.

«Ç'a été ma première grande claque sur la gueule parce que, jusqu'à ce moment-là, je n'avais douté de rien, surtout pas de moi-même ni de ma petite taille. Et là tout à coup, je me voyais comme je ne m'étais jamais vu. Résultat: j'ai passé trois ans à me déconstruire. J'ai perdu toute confiance en moi et, à 20 ans, je suis sorti de l'école avec un cuisant sentiment d'échec. Je savais que je n'avais pas le talent pour devenir acteur, mais j'avais la certitude que ma place était au théâtre. Le problème, c'est que je n'avais aucune idée de la façon d'y parvenir. Ç'a été ma période tunnel.»

Pour sortir du tunnel, Boucher retourne vivre chez ses parents, à Victo, et les aide au dépanneur. Puis, ayant économisé suffisamment d'argent, il s'inscrit à l'UQAM en enseignement de la langue maternelle au secondaire.

«La première année de mon bac, je me suis mis à écrire ma première pièce de théâtre dans le sous-sol de mes parents . Et tout de suite, devant cet univers hyperréaliste qui était en train de prendre forme, j'ai senti que je tenais quelque chose comme une couleur personnelle.»

De l'école à la télé

Sa première pièce s'intitule Natures mortes. C'est Michel Tremblay, lui-même en personne, qui la met en scène au Quat'Sous. Entre-temps, Serge Boucher a commencé à enseigner à temps plein à l'école secondaire Pierre-Bédard, à Saint-Rémi. Il a une centaine d'élèves divisés en quatre groupes. Et contre toute attente, l'enseignement le comble.

«J'ai commencé à enseigner pour gagner ma vie, mais j'ai été pris à mon propre piège. J'ai aimé ça. L'école a été ma bouée, ma base, ma sécurité. J'ai pris un plaisir immense à enseigner, mais je dois avouer aussi que ça a fait mon affaire d'être enseignant. Je veux dire : d'avoir cette étiquette-là et d'être quelqu'un de normal, sans démesure, plutôt qu'une bébitte. Mon besoin de me conformer était tel que j'ai mis des années à assumer que, en plus d'être enseignant, j'étais aussi auteur de théâtre.»

Pourtant, l'auteur de théâtre ne chôme pas. À partir de 1998, Boucher écrit pratiquement une pièce par année. Toutes seront couronnées de succès depuis Motel Hélène, Les bonbons qui sauvent la vie, Avec Norm, et 24 poses, qui fera l'objet d'une captation télé et qui lui ouvrira les portes de la télévision.

En réalité, les portes de la télévision lui sont ouvertes depuis longtemps, mais Boucher n'a pas envie de faire le saut. Il gagne bien sa vie dans l'enseignement. Écrire pour le théâtre le comble entièrement. Pourquoi prendre le risque d'aller nager dans des eaux inconnues et de s'y noyer? Après avoir longtemps hésité, il finit par se laisser convaincre d'écrire une suite télé à 24 poses. Mais, six mois plus tard, il abandonne le projet et propose plutôt l'ébauche de ce qui deviendra Aveux.

«Je suis parti avec la question: comment peut-on passer à côté de ce que les autres sont en train de vivre ou de mourir? Mais au bout de trois épisodes, j'ai voulu tout lâcher. Je me regardais écrire et j'entendais une petite voix qui me critiquait tout le temps et qui me disait que j'étais en train de fabriquer une maison Bonneville plutôt qu'une authentique maison en bois. Et puis, juste au moment où j'allais tout abandonner, est arrivée Myriam Pavlovic, une femme d'une grande humanité et conseillère à la scénarisation hors pair, qui m'a rebranché sur le projet et redonné la foi. Je ne la remercierai jamais assez.»

Au bout du compte, Serge Boucher a mis cinq ans de sa vie à écrire Aveux, cinq ans où il n'a jamais vu ou imaginé une seule image dans sa tête.

«Au théâtre, ce qui compte avant tout, c'est le ton. On écoute plus qu'on regarde. C'est pour ça que de voir ce que j'avais écrit mis en images par Claude Desrosiers a été un choc autant qu'une révélation.»

Depuis, Serge Boucher l'avoue sans ambages: Aveux lui a donné la piqûre de la télévision. Il n'abandonne pas le théâtre pour autant. Sa nouvelle pièce, Excuse-moi, sera montée chez Duceppe au printemps. En attendant, il planche déjà sur une nouvelle série. Le titre de travail? Apparences. Le sujet? Impossible de lui faire avouer...