Longtemps cantonnée dans des rôles comiques, Pauline Martin campera une femme qu'elle qualifie de «très dure» chez Duceppe. Une plongée dans le drame qui lui donne l'immense bonheur de renouer avec l'humour, la langue et le franc-parler de sa région, le Saguenay.

Pauline Martin a quitté Chicoutimi depuis des années. Sa carrière s'est déroulée à Montréal et elle a élevé ses enfants dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Elle n'a toutefois jamais coupé les ponts avec le Saguenay, région dont elle a déjà fait la promotion au plan touristique. Ce lien intime avec le territoire, elle le partage avec l'auteur d'Une maison face au nord, Jean-Rock Gaudreault.

 

«Je me suis toujours sentie comme une exilée. Lui aussi. On s'est beaucoup compris là-dessus. C'est drôle à dire, mais je ne me suis jamais vraiment remise d'avoir quitté le Saguenay, renchérit la comédienne. De jouer dans cette pièce avec Michel Dumont (originaire de cette région, lui aussi) apaise mon sentiment d'exil. J'ai l'impression d'être vraiment chez moi.»

Un drame familial

Dans Une maison face au nord, Pauline Martin incarne Anne-Marie Belley, une mère de famille de 63 ans inspirée par celle de l'auteur et que celui-ci classe parmi «cette race de femmes qui font les pays». Anne-Marie, tout comme son mari Henri (Michel Dumont), verra toutefois sa force tranquille mise à rude épreuve par l'arrestation de son fils, Stéphane, qui, lui, est de la race des Vincent Lacroix: un finaud de la finance accusé d'avoir floué des investisseurs.

Ce qui est au coeur de ce drame familial planté sur les falaises du fjord du Saguenay, c'est l'abîme qui sépare des parents de l'âge des baby-boomers et la génération de leurs enfants. C'est le regard que posent ceux qui sont restés dans la région sur la jeunesse qui l'a désertée. Ce couple a-t-il réussi ou échoué à transmettre ses valeurs et sa vision du monde? Où se trouve la relève pour l'entreprise d'Henri?

«Elle est très dure, cette pièce. Le constat est très dur, mais il n'est pas sans espoir, parce que, eux, ils se responsabilisent, ils ne sont pas des victimes», insiste Pauline Martin. En filigrane, Jean-Rock Gaudreault s'intéresse aussi au plus grand projet collectif de la génération des baby-boomers: l'indépendance du Québec.

Couleurs locales

Profondément ébranlés par le bilan qu'ils dressent de leur vie, blessés dans leur fierté par le crime de leur fils, Henri et Anne-Marie sentent que le monde s'écroule sous leurs pieds. Deux personnages vont faire la différence dans la vie du couple: un Polonais venu du Canada anglais et une immigrée guatémaltèque. Deux exilés.

«La pièce porte beaucoup là-dessus: l'identité, le territoire, le pays», indique Pauline Martin. Jean-Rock Gaudreault, plus de 70 ans après Menaud, maître-draveur, fait résonner à sa façon et d'une manière moderne «l'appel de la race» et «l'appel du pays» qui rythmaient le poétique roman de Félix-Antoine Savard, à qui est d'ailleurs dédiée Une maison face au nord.

«Le fait qu'on vienne du Saguenay, Michel et moi, nous aide beaucoup, ce sont des personnages qui coulaient quasiment déjà dans nos veines», affirme l'interprète d'Anne-Marie. La comédienne dit y reconnaître l'humour de sa région natale et une façon d'exprimer les choses de manière directe, presque bête. «On n'est pas plus diplomates qu'il faut», dit Pauline Martin, parlant des gens du Saguenay.

Jean-Rock Gaudreault, même s'il vit sur la Rive-Sud de Montréal, n'a pas non plus oublié la musique de la langue de son coin de pays. Larry, «l'Anglais», a adopté des traits linguistiques de la région, dont le fameux «à cause».

Pauline Martin, elle-même, n'a pu s'empêcher de colorer une réplique ou deux d'une expression locale qui s'imposait chaque fois qu'elle répétait.

Et l'accent? Il est revenu. Chez Michel Dumont comme chez elle. Il n'est toutefois pas question de le souligner à grands traits, assure la comédienne. «On ne veut pas faire de la caricature.»

Une maison face au nord, de Jean-Rock Gaudreault, du 28 octobre au 5 décembre chez Duceppe.

La pièce d'une vie pour Jean-Rock Gaudreault

Jean-Rock Gaudreault a surtout fait sa marque dans le théâtre jeunesse jusqu'ici. Il a commencé à accumuler les prix dès sa première pièce, Mathieu trop court, François trop long. Deux pas vers les étoiles lui a valu le prix du Gouverneur général en 2003 et, deux ans plus tard, il s'est hissé parmi les finalistes pour le même prix avec Pour ceux qui croient que la Terre est ronde, qui s'intéresse à la relation houleuse entre Christophe Colomb et son fils Hernando.

Une maison face au nord, qui s'est d'abord intitulée Une maison face au fjord, est toutefois une oeuvre qui lui tient particulièrement à coeur. Il en a écrit la première version à l'École nationale de théâtre il y a plus de 15 ans et affirmait en janvier dernier qu'il se verrait la réécrire lorsqu'il aura lui-même l'âge de ses personnages. C'est la pièce de sa vie, résumait-il, à une collègue de Chicoutimi.