Pas trop le temps de lézarder sous le soleil de Provence, pendant ces jours passés au festival d'Avignon. Entre une rencontre avec Wajdi Mouawad et le sociologue de l'imaginaire Vincenzo Susca sur «le hold-up de l'imaginaire par les machines à fabriquer des histoires» et une lecture de Marie Darrieuseuq sur les images d'un film de Christelle Lheureux, il y a aussi du théâtre qui s'offre à voir aux quatre coins de la ville. Voici un bref aperçu de quelques temps forts d'Avignon.

La Menzogna, de Pippo Delbono

Mon plus grand, plus bouleversant coup de foudre de cette dizaine de jours passée en Avignon. La Menzogna (Le mensonge) est une création dans laquelle Pippo Delbono traite poétiquement du sort de sept travailleurs de l'usine ThyssenKrupp de Turin, tués par un incendie en 2007. Ni documentaire, ni politique, cette pièce où l'émotion brute remplace les mots fait preuve d'une exquise maîtrise de l'espace et de son art, par ce grand metteur en scène italien.

Des personnages fantomatiques occupent la scène sise en plein air, dans la cour du Lycée St-Joseph, et gravitent autour d'une grande structure métallique. Au centre de ce grand bal de zombies, de corps travestis, masqués, dénudés, il y a Delbono lui-même, habillé en complet noir, qui prend des photos et narre le récit de sa chaude voix caverneuse.

Ces tableaux qu'il offre à voir sont d'une grande tendresse et d'une beauté étrange. Dans ce «théâtre des fous», il y a les «muses» de Delbono: Bobo, sourd muet et analphabète, le plus libre des hommes, Nelson, clochard qui nous regarde droit dans les yeux et Gianluca Ballare, jeune trisomique au visage lunaire, qui danse sans pudeur. Delbono (qui a conquis le public du dernier FTA, avec le saisissant Questo Buio Feroce), livre ici une grande oeuvre d'art

(A)pollonia, de Krysztof Warikowski

La seconde pièce, après Le sang des promesses de Wajdi Mouawad, ayant investi la prestigieuse cour du Palais des papes. Dans cette sanguinaire et ambitieuse épopée de 4 h 30, le provoquant metteur en scène polonais part d'Alceste et de l'Orestie pour raconter des tragédies du siècle dernier, donc essentiellement la Seconde Guerre mondiale. Un collage d'images frappantes et une série de personnages archétypaux, que cette mise en scène foisonnante, parfois excessive, qui juxtapose les projections vidéo, la musique live, le spoken word, la performance, le body painting….

À travers le bazar, heureusement, on retrouve quelques pistes éclairantes. Comme ces quelques extraits des Bienveillantes de Jonathan Littell, et d'autres auteurs comme Hanna Krall, qui portent un éclairage sur le passé.

Excessif, violent, agressant. Et souvent souligné au marqueur. Plus de quatre heures de gifles.

Angelo, tyran de Padoue, de Christophe Honoré

On nous parle souvent, depuis le début du festival, de cette volonté cette année de faire se rencontre la scène et le septième art. En s'attaquant à Angelo, tyran de Padoue, pour sa toute première grande mise en scène au théâtre, Christophe Honoré livre un objet à la hauteur de cette ambition.

Un tragique triangle amoureux qui met surtout en lumière le talent des deux actrices principales, Emmanuelle Devos (Catarina) et Clotilde Hesme (La Tisbe), qui portent ce spectacle avec fraîcheur et profondeur. Dans une mise en scène plutôt classique quoique efficace, Honoré plonge dans un contexte contemporain cette histoire de passion inassouvie, d'amours impossibles ou déçus, où la pute confronte l'épouse dans un duel qui tourne au tragique. Stylisée, bien ficelée, cinématographique, cette rencontre de Christophe Honoré avec le théâtre est l'une des belles découvertes de ce festival.