En parlant du Festival d'Avignon, on s'épanche surtout sur les chocs inoubliables laissés par Pina Bauch dans les années 1980, les spectacles événements d'Ariane Mnoushkine, bref, c'est le volet «théâtre contemporain» qui domine. Mais débarquer à Avignon, c'est peut-être surtout s'immerger dans un bazar immense fait de tout, de n'importe quoi et bien d'autres choses. Quand une petite ville de moins de 100 000 âmes réunit dans un même mois des fans de Jan Fabre, et des vacanciers amateurs de comédies légères, on ne sait plus à quel pape se vouer...

Il y a les pétards qui explosent. Les terrasses pleines à craquer autour du Palais des papes. Les prospères vendeurs de glace. Les mimes. Des mecs déguisés en nonnes. Les cantatrices en robes longues qui vous offrent des envolées stridentes et non sollicitées. Il y a surtout une marée de vacanciers au pas tranquille (des Français surtout) venus en Avignon pour se divertir.

En tentant une promenade sur la rue de la République, artère centrale d'Avignon, on a droit à une dose intense de célébration estivale. Première chose qui nous frappe (au sens physique du terme), ce sont ces distributeurs de tracts pour attirer le public à leurs spectacles. Et bien sûr, on est vite interloqué par les titres des affiches qui dominent le grand boulevard de cette ville de théâtre.

Pétanque et sentiments, Ma voisine ne suce pas que de la glace, Les cocottes se soignent, Ça va et ça revient... Qui a dit que les Québécois avaient le monopole de la quétainerie, dans le domaine du théâtre d'été?

Avignon, en juillet, c'est aussi une fête du théâtre populaire et bien sûr, par le fait même, la course des artistes pour attirer l'attention du public et des producteurs.

«Tout se joue la première semaine», m'explique Mathilde de Groot, une comédienne de la banlieue parisienne qui passe le mois de juillet en costume de la Commedia Dell'Arte, pour faire la promo dans la rue du spectacle de sa compagnie.

Cette jeune comédienne en est à sa quatrième expérience avignonnaise. Et elle commence à trouver rude toute la compétition entre artistes qui règnent ici, en juillet. «Il y a de plus en plus de spectacles. Cette année, il y en a 1000, c'est énorme. Beaucoup d'artistes abandonnent dès les premiers jours du festival.»

Il y a deux Avignon : le festival officiel, qui réunit cette année les Wajdi Mouawad, Jan Fabre, Maggie Marin, Pippo Delbono et autres grands noms de la création contemporaine, et le OFF qui programme un très grand nombre de spectacles de tous genres.

«L'esprit du OFF est encore et toujours un espace de liberté, pour toute personne qui souhaite tenter sa chance assumer une création face à un public», m'explique Christophe Galent, que je rencontre dans les bureaux du OFF Avignon. Chargé de mission pour ce gigantesque volet en marge du festival officiel, Galent m'entretient sur la volonté qu'avait le regretté André Benedetto (décédé dimanche dernier à la veille de ses 76 ans) de placer sur un même plan le théâtre populaire et un théâtre de création plus pointu.

Le OFF Avignon, c'est cette année 1000 spectacles, 6000 artistes et 105 lieux théâtraux. C'est dans les années 1960 que Benedetto a établi les jalons de ce volet en marge du «In» Avignon, en montant des spectacles en juillet. Sa volonté, qui est demeuré vivante jusqu'à ses derniers jours, a été de provoquer le dialogue entre des couches extrêmement composites du monde du théâtre.

«André ne voulait pas tricher et faire comme si le paysage culturel c'est les compagnies ''officielles', moins les one man show, les comiques, les amateurs...», témoigne Christophe Galent

Pour les commerçants d'Avignon, une telle effervescence d'artistes et du public apporte forcément des affaires d'or. Tous les hôtels d'Avignon affichent «complet» pendant le mois de juillet. Et les marchants font leurs profits pour l'année. Christophe Lebars, qui opère une boutique de produits typiques de la Provence, récolte 20% de son chiffre d'affaire pendant les trois semaines du festival en juillet. «Ma clientèle est faite à 90% de touristes. Les gens viennent y acheter des produits fabriqués ici dans la région.»

Dans le grand bazar avignonnais, tous cherchent un moyen de vendre son spectacle ou sa glace à la poire. Mais pour ce mime d'origine allemande, qui toute l'année durant se produit devant le Palais des papes dans son costume de cardinal, ces trois chaudes semaines sont les plus austères de l'année. «J'ai hâte qu'août revienne», m'a-t-il confié, dépité à la vue de tous ces touristes qui l'ignoraient, trop captivés qu'ils étaient par le spectacle de jonglerie qui commençait un peu plus loin.

Pas facile, la vie d'artiste en Avignon.