«Ce n'est pas historiiique, c'est oniriiique», expliquait une jeune Française, pendant la première pause d'une heure trente du «marathon» du Sang des promesses, ou «La nuit Wajdi».

Vers 19 h 55 samedi soir, le public - en majorité des jeunes dans la vingtaine - était fin prêt pour cette nuit blanche de 11 heures composée de Littoral, Incendies et Forêts. Chaque siège était recouvert d'une couverture, pour prévoir la fraîcheur qui tombe sur le Vaucluse au coucher du soleil.

Mais il faisait encore jour lorsque tous les comédiens des trois spectacles de la tétralogie sont apparus sur la vaste scène de la cour du palais des Papes. Alignés face au public, ils ont aspergé leur dos de peinture pour ensuite laisser leur empreinte sur de grandes boîtes qui faisaient office de murs amovibles.

«Il a la politesse de mettre de l'humour dans ses textes», m'a confié ma voisine d'origine belge qui, tout comme René Solis du journal Libération, a pourtant été déçue par Forêts, troisième et dernier segment de la nuit. «Ça suffit, les destins croisés», a tranché ma voisine, quand s'est terminée la première partie de Forêts.

À la décharge de l'artiste-associé du 63e Festival d'Avignon, il faut dire qu'il commençait à être un peu tard pour se taper cette quête initiatique de quatre heures faite de longs échanges poétiques et de complexes liens familiaux et amicaux, qui emprunte le chemin de la tragédie de Polytechnique pour ensuite passer par les Première et Seconde Guerres mondiales, la chute du mur de Berlin...

Malgré tout, les gradins étaient presque pleins à 6 h du matin, alors que les spectateurs luttaient contre la fatigue pour écouter les récits de Wajdi. Il faut dire qu'en début de soirée, il avait su les séduire en confiant au jeune acteur Emmanuel Schwartz - que Libération a qualifié «d'épatant (...) grand garçon tout maigre qui allège tout ce qu'il touche) - le rôle principal de Wilfrid.

Enjôlant les marathoniens avignonnais avec l'accent québécois, Wajdi a «rénové» Littoral en ajoutant à sa mise en scène de la peinture barbouillant les corps des acteurs et des bâches. Utilisée la première fois dans le solo Seuls, la nouvelle passion de Mouawad pour la peinture sur corps revient d'ailleurs sporadiquement dans les trois segments du Sang des promesses.

La nuit était profondément tombée quand Incendies a pris la scène de la cour, vers minuit. Cette histoire de guerre et d'inceste, où le Liban n'est jamais nommé, s'est avérée le moment le plus fort de cette nuit.

Défi

Réchauffés par leurs couvertures et tenus réveillés par des litres de café offerts généreusement par le festival, les spectateurs ont été réceptifs et enthousiastes jusqu'à la toute fin. Leurs énergiques cris et applaudissements étaient sans doute une façon de se congratuler et de s'encourager.

Excessif, baroque, bavard...Wajdi n'a fait aucun compromis, mettant son public au défi de le suivre dans sa perpétuelle réinterprétation de la mythologie. L'espace était grandiose, on se dit qu'il aurait pu déborder du cadre de la scène et s'emparer des possibilités infinies de la cour du palais des Papes.

Mais le spectacle, par sa longueur et sa démesure, fera époque. Le Sang des promesses - plus long spectacle présenté à Avignon depuis le Soulier de satin mis en scène par Antoine Vitez en 1987 - a bien ancré la marque de Wajdi, dans ce 63e Festival d'Avignon.

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Les frais de transport de ce reportage ont été payés par la Délégation générale du Québec à Paris.