«Dans notre monde, le clown est l'individu le plus bas dans l'échelle sociale, il est en dessous du peuple. C'est ce que nous prouve toute cette controverse», me confiait cette semaine Laura Lacoste, comédienne et clown thérapeutique pour l'organisme Dr Clown.

Pendant ses années d'études en théâtre à Lionel-Groulx (elle a gradué en 2004), Laura réussissait bien. Mais après l'école, elle a subi le creux que connaissent la grande majorité de ses semblables. D'auditions pour des pubs de fromage en contrats de figuration et projets de théâtre en autogéré, elle s'est cherchée.

 

Puis, Dr Clown l'a trouvée.

Depuis trois ans, son implication dans cet organisme lui procure ce qu'elle a toujours voulu: aider les autres tout en pratiquant son métier d'actrice. Elle n'a pas renoncé à la scène - l'automne dernier, elle était de la tournée est-européenne de La pornographie des âmes de Dave St-Pierre -, mais ne comptez pas sur elle pour accrocher son nez de clown en échange d'un rôle dans Virginie.

De Laura, comme à tous ses 28 clowns thérapeutiques, Dr Clown exige deux qualités fondamentales: du talent pour le jeu et l'humilité de mettre de côté son désir d'épater, et être vraiment à l'écoute du patient. Une forme d'abnégation qui ne lui a jamais été enseignée pendant ses études en théâtre. «Dans le milieu artistique, le théâtre social ou l'art-thérapie sont regardés un peu de haut. Comme si cela était réservé à ceux qui n'étaient pas assez bons pour pratiquer «pour vrai»», songe Laura.

Oui, il faut être drôlement à contre-courant pour adhérer à une telle philosophie, dans une profession où la valeur de l'existence (et du talent) est évaluée en fonction du nombre de projecteurs braqués sur soi. «Au Québec, nous sommes pris dans une mégalomanie, dans une enflure des millions. Ici, tout ce qui est hors du spectacle n'existe pas», me confiait cette semaine l'anthropologue Luce Des Aulniers.

En partant du chaud sujet des clowns, Mme Des Aulniers et moi en sommes arrivées à parler de notre rapport à l'art. L'anthropologue regrette que l'on associe nécessairement l'expression artistique au spectacle. «On a beaucoup régulé l'expression artistique sur la performance.»

Cela m'a fait penser à Pippo Delbono, le grand metteur en scène italien qui sera bientôt de passage dans le cadre du Festival TransAmériques. Sa démarche est tout à fait à l'inverse de celle de Dr Clown, même si sa philosophie est drôlement semblable: Delbono fait monter sur scène un trisomique, un sourd-muet interné depuis 40 ans, un clochard schizophrène...

Delbono a connu sa muse, Bobo, pendant un séjour à l'hôpital psychiatrique. «Je pourrais écrire des chapitres sur Bobo. Sa condition de sourd-muet interné lui a donné une capacité de communication physique tellement forte. Il y a une poésie, dans sa seule façon de raconter», m'a dit Delbono, en entretien téléphonique.

En assistant aux interventions de trois Dr Clown à l'Institut de gériatrie, mercredi dernier, j'ai compris un peu mieux ce que Delbono veut dire, quand il parle de la poésie que l'on rencontre dans les lieux les plus inquiétants, où aucun projecteur n'ose s'aventurer.

Et parfois il y a de la tendresse, dans les corridors où rôde la mort.