Quinze ans après sa première lecture au Nouveau Théâtre expérimental et 10 ans après son adaptation cinématographique, Matroni et moi reprend l'affiche à Montréal, au National, avec trois des cinq têtes d'affiche de la distribution originale.

Alexis Martin signe à nouveau la mise en scène de la pièce qu'il a créée en 1994, et qui relate la rencontre improbable entre un intellectuel naïf et une barmaid à l'entourage suspect. Martin présente le choc de leurs deux mondes: celui des grandes idées et de la philosophie d'un côté, et celui des règles de la rue et du monde interlope, de l'autre.

Gilles sera mêlé, malgré lui, aux histoires du frère de Guylaine, à la solde d'un mafioso appelé Matroni, qu'il devra rencontrer. Et qui, de toute évidence, préfère les manigances aux débats de société.

C'est un bonheur de retrouver les mots d'Alexis Martin. Surtout durant le premier acte, où Guylaine fait des pieds et des mains pour soigner son français, remplaçant ses «un boutte» par «longtemps» et ses «d'habitude» par «habituellement». Quant à Gilles, «il parle comme un livre» (dixit Matroni) et tente en vain d'expliquer à Guylaine que depuis la «mort» de Dieu - le sujet de sa thèse de doctorat -, il n'y a plus de justice ou de morale collective.

C'est Émilie Bibeau (Annie et ses hommes) et François Létourneau (Les Invincibles) qui reprennent les rôles initialement interprétés par Guylaine Tremblay et Alexis Martin.

On rit beaucoup pendant la pièce, mais les personnages sont tellement grossiers qu'on peine à embarquer totalement dans l'intrigue. Nous sommes plus dans le rigolo-absurde que dans le portrait caustique. Alexis Martin ne cherche pas à nous convaincre de l'amour qui existe entre Guylaine et Gilles. Il fait plutôt une caricature du «monde» qui les sépare.

Létourneau incarne un intello pas viril, naïf et un peu loser, ce qui n'est pas sans rappeler son rôle dans Les Invincibles. Avec son accent français et son côté pogné, il a le charme d'un Stéphane Dion. De son côté, Pierre Lebeau ne reprend pas le rôle de Matroni avec la même fraîcheur qu'en 1994. Depuis, il y a eu Méo dans Les Boys. Quinze ans plus tard, on ne peut s'empêcher de faire un parallèle entre les deux personnages.

Mais ces réserves mises à part, il y a de grands moments sur scène entre les deux acteurs, servis par un texte brillant.

Gary Boudreault reprend avec brio le rôle du frère de Guylaine. C'est lui qui mettra Gilles dans le pétrin en lui demandant de livrer une lettre à Matroni. Pour lui, de la bière belge, c'est du «pipi de Jésus». Et l'université est remplie de «téteux de bats».

Le père de Gilles, toujours interprété par Jacques L'heureux (Passe-Montagne), intervient à la fin de la pièce. Son personnage, avocat, nuance en quelque sorte l'écart entre les univers de Gilles et Matroni. Les philosophes comme Emmanuel Kant sont des «vibrateurs de pénis moraux», dit-il.

Matroni et moi a beau dénoncer la naïveté intellectuelle par rapport au vrai monde, son texte est cérébral, de par ses références, mais l'ensemble est allégé par un humour habile et omniprésent.

Si sa reprise n'est pas sans défauts, la pièce vaut la peine d'être vue. Matroni et moi entamera une tournée québécoise cet été. Il s'agit d'une première incursion au théâtre de la Compagnie Larivée Cabot Champagne (qui produit ce spectacle), elle qui oeuvre surtout dans le secteur de la musique.

__________________________________________

Matroni et moi au National jusqu'au 23 mai.