C'est avec conviction que le public de la compagnie Jean-Duceppe a ovationné la distribution de la pièce Le déni d'Arnold Wesker, mardi soir: les comédiens - et particulièrement Marie-Chantal Perron - défendent effectivement très bien ce texte tragique contemporain qui soulève des questions tout à fait pertinentes sur la famille, les victimes d'agression sexuelle, l'exploitation de la souffrance, la quête de solutions faciles...

Construite à la manière d'un bon thriller dans lequel on ne chercherait pas le nom du meurtrier, mais plutôt s'il y a eu meurtre - et de qui? -, la pièce de Wesker relate l'éclatement et même l'explosion d'une famille «ordinaire» à la suite des accusations portées par Jenny, la fille aînée: son père et son grand-père, avec la complicité de sa mère, l'auraient agressée sexuellement quand elle était enfant.

Ces accusations, la jeune femme de 30 ans les profère avec l'appui de sa thérapeute, qui a «réveillé» en elle le souvenir des agressions commises par son «enfant de chienne de père». Seulement, rien d'autre ne soutient ses souvenirs. En fait, l'accusation n'est fondée que sur ses souvenirs - mais ceux-ci sont-ils vrais ou imaginaires? Cela n'empêche pas le père de tout perdre - emploi, amis, réputation, etc. - , faute de preuves de son innocence... ou de sa culpabilité.

Marie-Chantal Perron, qu'on a l'habitude de voir dans des rôles généralement souriants, incarne ici une Jenny incroyablement juste, souffrante, vulnérable, enragée noire, vraiment tragique et néanmoins touchante, une Jenny qui ressemble à s'y méprendre à des tas de gens qu'on côtoie. À ses côtés, Linda Sorgini interprète avec aplomb le difficile rôle de Valérie, la thérapeute pour laquelle on éprouve des sentiments constamment ambigus - oui, elle est manipulatrice, mais non, elle n'est pas malhonnête -, et qui finit par glacer le sang tant elle est «probable», dangereusement crédible.

L'affrontement mettant aux prises Jenny et Valérie d'une part, le père (Guy Nadon), la mère (Louise Laprade) et la jeune soeur (Marie-Ève Bertrand) d'autre part, va durer deux ans. Une assez longue période évoquée en une succession de tableaux qui tissent une inextricable toile d'araignée où une foule de questions fondamentales sont posées aux spectateurs sur l'échec, la dépendance, le déni de certaines réalités et la manie actuelle de tout magasiner, y compris une solution miracle à la dépression.

C'est aussi une pièce qui aborde une question que tous les parents - et les adultes en général - se posent: jusqu'où pouvons-nous aimer physiquement les enfants, les caresser, les embrasser sans que cela soit mal interprété? Pour éviter d'éventuelles accusations, faut-il ne plus se toucher du tout?

Alors qu'il serait facile de verser dans la diabolisation des uns ou des autres (les thérapeutes improvisés, la famille bancale comme toutes les familles), la mise en scène de Martine Beaulne évite constamment de prendre parti, et j'irais jusqu'à dire que c'est une mise en scène faite de compassion pour le genre humain et ses errements, sa souffrance. On soulignera par ailleurs la qualité de la traduction de Geneviève Lefebvre, très appropriée.

Si la structure de la pièce n'est pas toujours heureuse, notamment le rôle de la journaliste (Isabelle Vincent), qui a un côté didactique vraiment pas subtil, le texte du dramaturge britannique est très efficace et d'une indéniable pertinence. C'est tout cela que le public a non seulement applaudi très chaleureusement, mardi soir, mais dont il a aussi discuté passionnément après la représentation, si on en juge par les propos entendus en quittant la salle.

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Le déni, d'Arnold Wesker, mise en scène de Martine Beaulne, jusqu'au 11 avril à la Compagnie Jean-Duceppe.