C'est assez émouvant de voir pour la première fois - et pour la première fois en français, qui plus est - la pièce d'un dramaturge américain fondamental et néanmoins tombé dans l'oubli. C'est le cas de la pièce Réveillez-vous et chantez! de Clifford Odets, écrite en 1935 et présentée par l'Opsis dans le cadre de son cycle états-unien.

C'est d'autant plus touchant - et souvent drôle, car on rit beaucoup - que la pièce se déroule dans un univers qui résonne étrangement avec le nôtre: tout se passe à New York en 1933 et 1934, alors que la crise financière fait rage comme elle le fait actuellement dans nos vies. En 1h30 sans entracte, on suit la vie étriquée d'une famille juive du Bronx, dans un appartement trop petit pour six adultes.

 

Trop petit pour trois générations que tout oppose: celle du grand-père marxiste émigré aux États-Unis et désillusionné, mais toujours amoureux de la voix du ténor Caruso, celle des parents conservateurs, devenus minables en raison du manque constant d'argent, celle des enfants devenus grands qui rêvent d'une autre vie - à laquelle on ajoutera la génération des vétérans de la Première Guerre mondiale, incarnée par le chambreur de cette famille. Tous vont s'affronter pour simplement essayer de survivre physiquement, mais aussi psychologiquement à la promiscuité et à l'avenir qui semble fermé.

Pour défendre ces rôles, l'Opsis a fait appel à une distribution incroyablement inspirée. Tous, d'Albert Millaire (le grand-père à la fois rempli d'espoir et de désespoir) à Annick Bergeron (hallucinante mère contrôlante), d'Henri Chassé (cynique à souhait) à Jean-François Casabonne (en père falot), de François Arnaud (le fils) à Évelyne Brochu (la fille), donnent une certaine profondeur à des personnages qui pourraient être caricaturaux. Sous nos yeux, ils sont simplement humains.

Pour enlever au texte son parfum poussiéreux - tout en laissant un peu de patine du temps aux répliques - la metteure en scène Luce Pelletier a travaillé fort avec ses comédiens pour qu'on mesure l'importance des questions posées: à quoi sert la vie? Rêver vaut-il la peine? Est-il un jour trop tard? Sans oublier cette question fondamentale: a-t-on le courage de faire des gestes brutaux, définitifs, pour changer de vie, sans savoir si cela vaut le coup?

Le texte est par ailleurs traversé de réflexions étonnamment contemporaines, par exemple l'importance accordée au succès individuel ou les débuts du fascisme... Mais il sera aussi question de mère célibataire, de salaire extra minimum, du poids de l'opinion des autres, de la pauvreté qui décape même les plus grands rêves.

On trouvera peut-être que ces personnages sont des archétypes du théâtre américain, à commencer par la mère névrosée et le père mou. C'est oublier qu'Odets est un des tout premiers à les avoir portés à la scène et à mesurer le tragique de ces vies «ordinaires». La mise en scène, la traduction (excellente, signée Fanny Britt), le décor et la musique, tout concourt à recréer l'atmosphère de l'époque tout en jetant des ponts vers notre ère. Ce n'est pas rien. Et, en ces temps difficiles où le courage peut devenir plus nécessaire, c'est utile.

Réveillez-vous et chantez! de Clifford Odets, mise en scène de Luce Pelletier, une production du Théâtre de l'Opsis, présentée jusqu'au 28 mars au Théâtre Prospero.