Boucler la boucle: c'est une des choses qui importent le plus à des tas d'humains, secrètement convaincus qu'un «cycle» inachevé dans leur vie peut les entraver à jamais. Le «bouclage de boucle» pour mieux renaître, ainsi que le besoin de tisser des liens entre l'Histoire et notre petite histoire et la subjugation exercée par la beauté, sont au coeur de La grande machinerie du monde, nouvelle production du Théâtre PàP, texte et mise en scène de Patrice Dubois, coidéation et éclairages de Martin Labrecque.

Après s'être inspirés de la vie d'un être authentique et plus grand que nature pour leur première collaboration - le mythique Orson Welles, dans leur pièce Everybody's Welles pour tous, en 2003 -, Dubois et Labrecque proposent cette fois quelques épisodes dans la vie de trois êtres humains «ordinaires» et leurs conséquences au cours des 20 ans qui suivent leur première rencontre en 1989, alors que tombe le mur de Berlin et que les chars d'assaut roulent place Tian'anmen.

 

Dans la ville de Québec, Richard, dont on ne saura pas grand-chose sinon qu'il veut voyager, a pour ami Christian, décrocheur, toxicomane et délinquant. Christian vit une étrange histoire d'amour avec la très cultivée Kate, mi-Écossaise, mi-Américaine, qui va bientôt soutenir sa thèse sur la Renaissance dans une université québécoise. Pourquoi Richard et Christian sont-ils amis? Ça reste un mystère. Pourquoi Christian et Kate sont-ils ensemble alors que tout les sépare? La pièce va le révéler assez rapidement, en un constant va-et-vient entre 1989 et 2009.

Précisons tout de suite que ce n'est justement pas pour «l'histoire» que La grande machinerie du monde vaut le déplacement. Pour reprendre les mots d'une spectatrice: «Avant même la moitié, j'avais compris la fin.» Ce qui intéressera les spectateurs, c'est plutôt la manière de raconter l'histoire. Comme dans Everybody's Welles..., Dubois et Labrecque cherchent à créer un langage où le texte et le jeu des comédiens, mais aussi la manipulation des décors, le décor lui-même, les éclairages et la trame sonore auraient tous leur mot à dire.

À ce titre, la pièce pourrait bien être une oeuvre de transition entre une première collaboration Dubois-Labrecque solide parce qu'elle s'appuyait sur un personnage hors du commun (Orson Welles) et leur prochaine collaboration, vers une oeuvre fictive plus concluante que ne l'est La grande machinerie... Car c'est surtout la manipulation des décors, le décor, les éclairages (fascinants) et la trame sonore (particulièrement réussie) qui ressortent cette fois-ci, alors que le texte et surtout la montée dramatique sont plus faibles.

Est-ce parce que nous étions au lendemain de la première, en raison de la fatigue du mois de février, d'un méchant virus de grippe ou en raison de la construction même de la pièce? Toujours est-il que, hormis Alexandre Goyette, qui n'incarne qu'un seul personnage à une seule époque - et un personnage extrêmement typé, plus fouillé, plus clair -, Sophie Cadieux et Stéphane Franche avaient plus de difficulté à habiter leurs rôles. Des rôles qui, pour le moment, ne parviennent pas à soutenir l'intérêt autant que la lumière et le bruissement de notre ère tels que mis en scène dans La grande machinerie du monde.

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La grande machinerie du monde, présentée par le Théâtre PàP, à Espace Go jusqu'au 21 mars.