Un seul comédien pour embrasser 37 personnages, dont un travesti est-allemand collectionneur d'objets de design qui a connu l'ère communiste et tenu un bar gai pendant l'époque nazie. Juste pour cela, il faut s'incliner devant le courage de Serge Postigo, qui porte sur ses épaules, pendant 1h40, la pièce Ma femme, c'est moi, au Théâtre du Rideau Vert.

Va pour l'audace de monter cette pièce à caractère documentaire, qui a valu à son auteur Doug Wright un prix Pulitzer en 2004. Le metteur en scène Jean-Guy Legault et le comédien Postigo ont eu le cran de sauter dans cette hasardeuse entreprise. C'est tout à leur honneur.

 

Hélas! leur appropriation de l'intriguante histoire de Charlotte von Mahlsdorf souffre d'un manque de subtilité, s'abîmant dans une juxtaposition confuse de personnages trop souvent caricaturés. Si bien que rapidement, on se lasse, on s'égare et on se désintéresse de cette histoire que l'on devine pourtant fascinante.

Il y a d'abord le problème des traits culturels grossiers, que Postigo donne à ses multiples avatars. De prime abord, les mimiques germaniques qu'il adopte pour faire la maniérée Charlotte sont d'amusantes distractions. Or, la réduction de ce personnage principal à ces aspects superficiels finit par le déshumaniser. On pourrait dire la même chose des artifices, de la jupe, du collier de perles, des accents, des excès gestuels déployés par Postigo pour marquer les changements de personnages, qui nous distraient de l'intelligent texte de Doug Wright.

La question des accents pose problème. Pourquoi donner au personnage de Charlotte un accent allemand, ou camper un journaliste japonais en recourant à des stéréotypes culturels, si un personnage d'Américain n'a aucune trace d'anglais dans son langage? Des détails, direz-vous. Peut-être, mais les clichés font rarement bonne figure au théâtre. Et ce, même s'ils sont rendus par le plus doué des comédiens.

Peut-être que Ma femme, c'est moi, avec son intrigue qui mêle dictature communiste, ère nazie, homophobie et identité complexe, serait plus à son aise dans une salle plus intime que le Rideau Vert. Peut-être que l'énigmatique Charlotte s'y révélerait mieux. Peut-être qu'il faut blâmer la scène élevée du théâtre, qui force l'acteur à adopter la grandiloquence, pour rendre la quarantaine de personnages de Ma femme, c'est moi.

Tout cela est possible. Reste qu'en fin de course, on se retrouve devant une performance d'un acteur au talent indéniable, mais qui se lance dans des pistes étranges pour accomplir sa mission. Ne devient pas femme qui veut...

Ma femme, c'est moi, de Doug Wright, traduction de René-Daniel Dubois, dans une mise en scène de Jean-Guy Legault, jusqu'au 28 février au Théâtre du Rideau Vert.