En pénétrant dans la Cinquième salle de la Place des Arts, où est présentée la pièce Molora, les premiers regards qui nous interpellent sont ceux des six femmes (et un homme) noirs, aux épaules couvertes d'épais châles de laine.

À partir de ce prélude silencieux jusqu'à la conclusion triomphante de cet inclassable spectacle, on sera captivé par les membres du Ngqoko Cultural Group.

 

Avec leurs hululements rythmés, leurs chants, leurs danses, ils portent en eux des rituels ancestraux qui perdurent, malgré les heurts de la colonisation et les ravages de l'apartheid. Rappel qu'en Afrique, le théâtre, la mise en scène, la musique, ne sont pas séparés de la «vraie» vie.

En leur troublante présence, se déroulera la métaphore théâtrale de l'Afrique du Sud post-apartheid. Un sanguinaire duel entre Électre l'oppressée et Clytemnestre la persécutrice se jouera avec fougue et émotions violentes.

Établie à Montréal depuis trois ans, la metteure en scène d'origine sud-africaine Yael Farber est certainement une artiste à surveiller. Molora, qu'elle a créée en 2003, est une pièce inspirée de la commission Vérité et Réconciliation, un exercice de confrontation entre bourreaux et victimes sud-africains. Farber s'approprie ici la tragédie grecque pour rendre universelles les blessures d'un régime oppressif.

Sportif et sanguinaire

L'actrice sud-africaine Dorothy Ann Gould (seule Blanche sur scène) endosse son personnage d'assassine avec violence, rage et une certaine folie. Quant à Jabulile Tshabalala, qui incarne Électre, sa performance est tout aussi «sportive» et sanguinaire. Témoin du meurtre d'Agamemnon, Électre est ici comparée à des enfants de l'apartheid. La commission Vérité et Réconciliation est suggérée par la culpabilité de Clytemnestre. Et ainsi sont reconstitués les faits, dans une juxtaposition de la tragédie et de l'histoire.

La rencontre sur une même scène d'un jeu extrême et violent et des membres du Ngqoko Cultural Group intensifie l'étrangeté. Vraiment, nous sommes ici en présence d'un objet bizarre, qui bouscule les repères.

Bien que l'on sente clairement le souci de Yael Farber d'expliquer la société sud-africaine post-apartheid, avec la tragédie, l'expérience de Molora s'avère surtout sensorielle et émotive. En fin de course, c'est la puissance du choeur africain qui l'emporte sur le théâtre grec. Molora est un spectacle à voir, surtout pour découvrir la voix unique de Farber et le sublime Ngqoko Cultural Group. Allez-y sans attente, avec l'esprit ouvert...

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Molora, de Yael Farber, à la Cinquième salle de la Place des Arts jusqu'au 1er février.