Près de 20 ans après Polytechnique, Pur chaos du désir utilise le massacre comme point de départ pour raconter la chute d'un couple d'universitaires. Rencontre avec Gilbert Turp et Guillaume Champoux, respectivement auteur-metteur en scène et acteur de cette pièce présentée au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 31 janvier.

Gilbert Turp n'était pas à Polytechnique le 6 décembre 1989. La tuerie l'a néanmoins troublé, assez pour la qualifier de son «11 septembre». En 2006, il a ressorti de ses tiroirs un vieux texte écrit sur le sujet.

 

«Je suis influencé par Brecht. Pour moi, le théâtre doit s'inscrire dans son contexte social, explique le dramaturge. Pourtant, 17 ans après le massacre, il n'y avait aucune oeuvre là-dessus.» (Le film Polytechnique, réalisé par Denis Villeneuve, prendra l'affiche le 6 février.)

Il retravaille donc le texte, puis trouve un filon: le couple. «Autour de moi, plein de couples se séparaient, se souvient-il. Comme si les hommes et les femmes s'étaient déclaré la guerre. Je pense que Polytechnique a provoqué une nouvelle hostilité entre les sexes.»

«Toute une génération en porte les traces, renchérit Guillaume Champoux, qui partage la scène dans la pièce avec Catherine Florent. Les conséquences dépassaient le simple côté fait divers des manchettes de journaux.»

Selon Gilbert Turp, la tragédie a ouvert une «boîte de Pandore», provoquant un malaise masculin, une nouvelle méfiance et une incompréhension dans les couples. «La preuve, c'est que depuis 20 ans au Québec, on fait de plus en plus de théâtre de conflits conjugaux. Mon intuition n'est pas folle», avance celui qui enseigne aussi l'histoire du théâtre au Conservatoire d'art dramatique.

Il a toutefois évité d'écrire une pièce à thèse ou moraliste. Sans verser dans la théorisation ou le manichéisme, Pur chaos du désir raconte l'histoire d'un jeune couple d'universitaires, Benoît et Rose (doctorant en philosophie et chercheuse en mathématiques), et de leur bébé Rose. L'action commence le soir du 6 décembre, quelques heures après la tuerie. Tuerie qu'ils n'auront pas vécue directement, mais qui déclenchera une série de remises en question qui les ébranlera.

«Si j'ai choisi des universitaires, ce n'était pas seulement pour rapprocher les personnages de Polytechnique, explique Gilbert Turp. Notre théâtre met très souvent en scène des ouvriers ou des bourgeois. Je voulais montrer autre chose. On a quand même quatre universités à Montréal.»

«Catherine et moi, notre jeu est très réaliste, ajoute sans prétention Guillaume Champoux. Pas réaliste dans le sens de plate, mais plutôt dans le sens de fidèle à ce que plusieurs ont sûrement déjà vécu. La petitesse de la salle aide aussi à donner l'impression au public d'entrer dans notre salon.»

Un style convenu

L'intention de l'auteur est-elle bien transposée sur scène? Mis à part quelques courtes scènes et répliques, l'histoire aurait pu se dérouler en 1975. Ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi. C'est seulement que le reste du récit, la chute d'un couple en panne de désir, demeure assez convenu.

On croirait parfois que la pièce est écrite par un psychothérapeute, avec une approche problème-solution et des personnages bien intentionnés. Le jeu convaincant de Guillaume Champoux et de Catherine Florent réussit toutefois à ramener juste assez d'ombre dans cette pièce moins torturée que le laisse entendre son titre.

Pur chaos du désir, jusqu'au 31 janvier à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d'Aujourd'hui.