Insomniaques, soyez avertis: il faut être psychologiquement préparé pour apprécier Pillowman, pièce de Martin McDonagh qui transforme la scène de La Licorne en un grinçant mais brillant cauchemar.

Antoine Bertrand prend les traits de Katurian, un boucher et inventeur d'histoires scabreuses à ses heures, qui se retrouve sous les verrous parce qu'on l'accuse d'avoir inspiré de violents crimes perpétrés sur des enfants. L'imposant comédien est d'un total engagement dans son interprétation de ce personnage épris de justice et en totale rupture avec l'état totalitaire qui menace son droit de créer.

 

Pour faire contrepoids à Bertrand, Frédéric Blanchette se métamorphose de manière troublante pour le rôle de Michal, frangin simple d'esprit (séquelles de sept années de sévices par des parents sadiques). Avec un sourire à la Jack Nicholson dans The Shining, une gestuelle coincée, un regard mystifié, Blanchette incarne le mystère insondable d'un être brisé, enfermé dans sa tête et protégé par son frère qui lui raconte des histoires de «Petite Jésus» et de «Cochon vert» pour l'apaiser.

Mais avant tout, c'est l'excellente mise en scène de Denis Bernard qu'il faut louanger, en parlant de Pillowman. Non seulement sait-il choisir et mettre en valeur des acteurs de talent, mais il utilise intelligemment l'espace scénique réduit de La Licorne.

La gravité du propos se trouve ainsi intensifiée, par le huis clos où les murs sont capitonnés, le plancher rouge vif et la scène divisée par une vitre sans tain. Ce dernier élément est tantôt utilisé comme un miroir qui reflète le public ou comme fenêtre sur des événements qu'on veut dissimuler. On aperçoit, à demi-teinte, la brutalité que les enquêteurs (efficaces Daniel Gadouas et David Boutin) font subir à Michal.

Cette fenêtre permet aussi d'accéder à une dimension onirique. On s'en sert ainsi pour évoquer l'enfance cauchemardesque des deux frères, avec Blanchette qui se travestit en marâtre trop maquillée ou Marie-Ève Milot qui se transforme en effrayante créature de conte.

Une pièce exigeante, cruelle et déconcertante, qui pose de douloureuses questions sur la responsabilité de l'acte créateur. McDonagh, un auteur pourvu d'un esprit savoureusement tordu, nous entraîne dans des chemins de traverse inattendus.

Son texte a eu la chance de tomber entre les mains de Denis Bernard, qui ajoute une couche de complexité à ce récit dont la fin est aux antipodes des contes de fées. Tant mieux. Cela n'aide pas à mieux s'assoupir, au contraire. Le Pillowman est du théâtre qui réveille.

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Pillowman, de Martin McDonagh. Jusqu'au 21 février à La Licorne.