Depuis le milieu des années 90, Yael Farber parcourt le monde avec son théâtre. Établie à Montréal depuis trois ans - son mari, repéreur pour le Cirque du Soleil, l'a «trouvée» en Afrique du Sud - la dramaturge et metteure en scène demeure toutefois inconnue du public d'ici. Avec Molora, qui prend cette semaine l'affiche de la Cinquième salle de la Place des Arts, Farber s'empare de la tragédie grecque pour suggérer la possibilité de briser le cycle de la violence.

«Je viens d'un pays qui, pendant un demi-siècle, a été dirigé par un des régimes les plus brutaux de tous les temps. Un régime qui a tout fait pour maintenir le pouvoir des Blancs, allant jusqu'à assassiner des gens et faisant des bains de sang dans les townships. Tout a été mis en oeuvre pour empêcher l'intégration», explique Farber, lors d'une rencontre avec la presse montréalaise, pour parler de Molora.

 

Les privilèges alloués à la communauté blanche n'ont pas empêché l'appauvrissement spirituel et moral, témoigne Farber, elle-même de descendances lituanienne et irlandaise. «L'apartheid a forgé la personne que je suis», dit celle qui s'est inspirée de la commission Vérité et Réconciliation (dont elle fut témoin) pour Molora, une transposition de la tragédie d'Oreste et Électre sur la réalité sud-africaine.

«Ce qui m'intéresse, c'est de faire un théâtre qui éveille», lâche Farber, marquée pour toujours par les témoignages des victimes de l'apartheid. «Des gens de milieux appauvris ont eu l'occasion de parler de raconter leurs histoires. J'ai vu des gens démontrer une capacité de pardon incroyable.»

Renaître de ses cendres

Profondément touchée par l'expérience humaine de la commission Vérité et Réconciliation, Yael Farber ne savait trop comment s'y prendre pour créer un spectacle inspiré de l'expérience de l'Afrique du Sud post-apartheid. En lisant les classiques grecs, elle a trouvé matière à réflexion, dans le traitement des cycles de violence et du destin inexorable.

Et puis, il y a eu le 11 septembre 2001.

«Je regardais les reportages télévisés et me trouvais fascinée par cette cendre blanche qui doucement a flotté sur la ville pendant des jours. Molora signifie «cendre.» La cendre est un élément fondamental: on la retrouve autour du feu, pendant qu'on raconte des histoires, il y a la cendre des camps de concentration, celle des génocides», évoque celle qui se dit intéressée par un théâtre «ritualisé.»

«Cela m'a frappée d'entendre l'administration Bush qui, au lendemain des attentats, annonçait que quelqu'un devrait payer pour les attentats. Pendant ce temps, un pays en développement (l'Afrique du Sud) a mis en place un système incroyablement sophistiqué pour sortir de la douleur.»

À son tour, Yael Farber fait passer la réconciliation par le théâtre. Une première percée sur l'oeuvre d'une Montréalaise d'adoption, qu'il faudra assurément surveiller de près.

Molora, de Yael Farber, à la Cinquième Salle de la Place des Arts du 22 janvier au 1er février (billet à 15$ pour les moins de 30 ans).