Les catégories, les genres, Dulcinée Langfelder se plaît à les fuir, quitte à dérouter ceux qui ont absolument besoin de poser une étiquette sur leur interlocuteur. Avec le fabuleux spectacle Victoria qui la suit comme une ombre et qui l'a fait voyager partout sur la planète depuis une dizaine d'années, la tâche d'étonner encore est immense.

Dans La complainte de Dulcinée, nouveau spectacle multidisciplinaire qu'elle a créé avec la complicité d'Alice Ronfard, elle nous livre une quête identitaire à la fois personnelle et ouverte sur le vaste monde. Ce faisant, elle dévoile le fruit d'un long travail de recherche inspiré de ses voyages et de son parcours personnel. Une oeuvre absolument unique et captivante, à l'image de cette artiste curieuse, drôle et allumée, qui fait passer ses miracles scéniques pour de simples simagrées à deux sous.

 

Mais ne laissez pas son côté clownesque vous berner sur la profondeur de son talent et l'exigence de sa démarche. Dulcinée la comique, la danseuse, l'artiste multimédia, se dédouble en Dulcinée de Toboso, la muse invisible de Don Quichotte qui a été dépossédée de son identité par l'inconscient collectif.

Bien entourée, la dame, avec son équipe de techniciens qui joue, danse et chante avec elle sur la scène, entre deux changements de décor. Des mecs talentueux, d'ailleurs, qui tantôt se métamorphosent en cheval ou encore exécutent sans trébucher la danse de la Sardane.

Envoûtant

On est très vite envoûté par la singularité de l'univers de Langfelder, qui passe tout naturellement du «stand-up» comique à une percée dans la mystique féminine qui a traversé le personnage de Dulcinée de Toboso. Dulcinée évoque notamment Parvati, Kuan Yin et Marilyn Monroe par d'ingénieux effets vidéo (en «méga low-tech»), par ses textes percutants, des dessins animés et son impayable sens de l'autodérision.

Tout comme dans Victoria, Langfelder utilise la technologie de façon subtile et intelligente, pour créer sur scène une magie. Des projections sur des draps en mouvement. Des jeux d'ombres pour illustrer des moulins à vent. Un dessin animé avec de la pâte à modeler, pour raconter l'histoire du yin et du yang.

En moins d'une heure trente, elle nous renseigne sur l'histoire des mythes féminins en passant par la muse parmi les muses: Dulcinea del Toboso. Dans la peau (et les vêtements de dentelle noire) de l'héroïne absente, Langfelder rétablit donc les faits. Avec son accent espagnol et sa dignité de diva, Dulcinea déclare qu'elle n'était pas une pute. Et à travers elle, on parcourt l'histoire, de l'Antiquité au 11 septembre 2001. Un trajet jalonné de sourires, de rires et d'émerveillement.

Ce qu'il faut souhaiter à La complainte de Dulcinée: qu'il vive et tourne aussi longtemps que son prédécesseur, Victoria. Et longue vie à Dulcinée, à son irrésistible humour et son insatiable curiosité.

_________________________________________________________________________________________

La complainte de Dulcinée, texte et interprétation de Dulcinée Langfelder, mise en scène d'Alice Ronfard à l'Espace GO jusqu'au 14 décembre.