Chez les passants de l'avenue des Pins, une même question habitait les regards depuis le début de l'automne. Le «nouveau» Quat'Sous serait-il prêt à temps pour l'inauguration en novembre de la nouvelle saison? Et puis, il y a deux semaines, le malheureux verdict est tombé: Opium_37, qui devait marquer la nouvelle vie du théâtre, sera jouée à l'Espace GO. Faudra patienter jusqu'en mars pour pendre la crémaillère dans un Quat'Sous tout neuf.

En ce frisquet matin de novembre, Éric Jean me parle des retards de travaux causés par la pluie de l'été dernier. Des dalles de béton qui ne pouvaient être coulées. Des milliers de détails administratifs auxquels il faut songer quand on démolit un vieux théâtre pour en rebâtir un nouveau.

 

Chantier arrêté pour cause de changements d'institution financière et de notaire. Délais dans la date de livraison. Comme tous les accouchements, celui du nouveau Quat'Sous a eu sa part d'imprévus. Mais pendant ce temps, la vie continue et il fallait bien reloger Opium_37, le spectacle pensé tout spécialement pour baptiser la nouvelle salle du Quat'Sous.

«Bien entendu, nous avons été déçus. Parce qu'on ne peut pas ouvrir un nouveau lieu avec n'importe quoi, avec n'importe quel thème. C'est un show qui parle d'Antonin Artaud, d'Anaïs Nin, d'Henry Miller, du Paris de 1937, du rôle de l'artiste en général, dans les années 30 comme aujourd'hui.»

Rapidement, Éric Jean et son équipe ont dû trouver une salle pour présenter Opium_37, un texte coécrit avec Catherine Léger, qu'il met en scène. Cette ode aux artistes et à la marginalité verra le jour, mais dans une salle de 100 places plutôt que 170. Et il reviendra à Yvan Bienvenue, en mars prochain, de livrer le spectacle d'ouverture du nouveau Quat'Sous avec Mort de peine.

L'art versus la direction artistique

Éric Jean, qui s'est bagarré pour que le Quat'Sous se dote d'un théâtre où l'on ne caillerait pas l'hiver, avec une salle de répétition et des loges convenables, laisse transparaître la fatigue d'un marathonien qui arrive en fin de course. C'est évidemment à contrecoeur que le directeur artistique a annulé les spectacles de Martin Léon et National Parcs, qui devaient avoir lieu en début d'année 2009.

«Ç'a été un long tournant, à partir du moment où l'on a fermé le Quat'Sous jusqu'à l'ouverture qui sera la conclusion de tout. Oui, cela a marqué ma direction artistique, à la fois positivement et négativement. C'est en entrant dans le nouveau théâtre qu'on va voir s'il y a eu des oublis. J'ai trouvé difficile de faire de la création pendant cette période, moi qui me définis davantage comme un metteur en scène qu'un directeur de théâtre.»

Éric Jean m'avoue bien candidement qu'il ne sait pas trop pour combien de temps encore il restera en poste à la direction du Quat'Sous. Parce que forcément, la liberté de créer n'est pas entière, quand on a l'esprit les inévitables soucis de rentabilité. «Il ne faut pas trop faire d'erreurs, si on ne veut pas perdre nos subventionneurs.»

Or, il porte une vision claire et enthousiaste de la destinée de ce nouveau lieu. «Je me raccroche beaucoup au Quat'Sous de la fondation, celui de Paul Buissonneau, de qui je me sens très proche. J'ai envie d'ouvrir le lieu, pour que le Quat'Sous porte désormais l'esprit d'un centre culturel, plutôt que d'un simple théâtre. Qu'il y ait des trucs en lien avec la danse, la musique, la photo.»

Des DJ et des soirées grilled cheese, le vendredi. Des partys thématiques. Des nuits blanches. Des shows de Martin Léon, Otarie, National Parcs. Éric Jean veut faire exploser les limites du théâtre. Une rencontre des genres qui, justement, est dans l'air. «Quand on pense à ce que font Dave St-Pierre ou Loui Mauffette, on voit bien que ces formes hybrides peuvent être heureuses.»

L'état des lieux

Il se dit chanceux de diriger un lieu comme le Quat'Sous, celui qui reproche aux théâtres montréalais leur frilosité, leur peur du risque. «C'est peut-être une question de mentalité, une question d'argent.»

Et c'est un peu beaucoup pour cela qu'il a voulu ouvrir sa saison avec Opium_37, qui parle d'un temps où les artistes et les marginaux avaient leur place, leur mot à dire. «On soulève la question du pouvoir de l'artiste aujourd'hui. Son rôle n'est-il pas devenu de divertir? On étiquette les marginaux aujourd'hui. Ça nous rassure de mettre les gens dans des cases. Il ne suffirait que d'un discours d'Artaud, aujourd'hui, pour qu'il soit interné.»

Éric Jean compte bien accompagner le Quat'Sous dans son ouverture, et ensuite «en profiter un peu», de ce nouveau théâtre qu'il a tellement souhaité. Mais on sent que le créateur brûle de prendre le dessus. «Je me tanne vite de la routine, je m'y sens emprisonné. J'aime me mettre en danger, j'en ai besoin pour aller ailleurs, pour avoir envie de continuer à faire ce métier. Ça peut vite devenir confortable si on ne prend pas de risque.»

 

Entrée en scène

Jam Pack, à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d'Aujourd'hui, du 25 novembre au 13 décembre.

2008 Revue et corrigée, au Théâtre du Rideau Vert, du 25 novembre au 10 janvier.

Opium_ 37, une production Théâtre de Quat'Sous, à la salle 2 de L'Espace GO, du 25 novembre au 21 décembre.