«L'enfance est un couteau planté dans la gorge», a écrit Wajdi Mouawad. Chez Mathieu Arsenault, auteur du pamphlet Vu d'ici, la lame prend la forme d'une scie à chaîne. Qui rugit bruyamment, pour enterrer le bruit sourd du micro-ondes, les ritournelles de Passe-Partout, la musique de centre commercial, le bruit aliénant des jeux vidéo.

Metteur en scène aux points de vue tranchés (sans jeu de mots), Christian Lapointe a cru bon transposer le texte d'Arsenault sur la scène du Théâtre La Chapelle. L'objectif, qui a le mérite d'être clair: cracher à la figure des spectateurs leur basse condition de zombies acheteurs compulsifs chez Wal-Mart, dévoreurs de dîners congelés et téléphages dopés à Loft Story.

 

Il a du mérite, le jeune comédien Jocelyn Pelletier qui, pendant 1h30, porte sur ses frêles épaules ce brûlot qui se consume dans une agressivité incessante. Jamais ne perd-il une once de son engagement envers les propos trash, méprisants, désillusionnés, suicidaires, immatures, extra lucides et désespérés d'Arsenault. De la banlieue anesthésiante, aux morts en Afghanistan qui nous laissent de glace, tout y passe dans une logorrhée épuisante à entendre. On nous écoeure - avec des odeurs nauséabondes générées par de l'aérosol ou du pop-corn et des bâtonnets de poisson passés au micro-ondes - on nous provoque, on nous casse les oreilles. On est dans la lignée du théâtre in your face.

Puisqu'il faut bien meubler le vide, la scène de La Chapelle est couverte d'un tapis gazon et habitée par une demi-douzaine de téléviseurs et d'un four à micro-ondes. Coïncidence amusante: sur RDI, Harper, Dion, May, Duceppe et Layton débattaient ce soir-là sous la conduite de Stéphan Bureau. Pour faire diversion, il y avait aussi Marie Plourde et ses lofteurs à regarder. L'effet était étrange.

J'avais hâte que tout cela finisse. J'en avais marre. J'aurais voulu être ailleurs. J'étais obstinément insensible à ces paroles nous accusant, moi et la vingtaine de personnes dans la salle, d'être de sales consommateurs de trucs fabriqués en Chine, d'idées pré-digérées, d'émissions de télé débiles mentales.

Et en même temps, je brûlais d'envie d'inviter Jocelyn Pelletier, Mathieu Arsenault et Christian Lapointe à prendre le thé. Pas pour causer de politique, de réchauffement climatique ou pour savoir s'ils compostent ou pas. Non, non. Pour une raison occulte, j'aimerais seulement savoir s'ils sont polis et aimables avec les dames, boivent leur thé noir ou avec un nuage de lait, comment ils passent leurs dimanches après-midi et ce qu'ils lisent avant d'aller au lit.

Je rigole, bien entendu. On ne badine pas avec des propos aussi graves que la folie occidentale, la déchéance de notre culture, la folie consommatrice, les séquelles profondes d'une enfance polluée par Passe-Partout, Jem et les hologrammes, Mickey Mouse, du Kraft Dinner dévoré devant The Price is Right. Mais quand même: couper la tête de Mickey pour la faire exploser dans le micro-ondes, voilà qui peut causer de vilains cauchemars aux dames sensibles. Elles pourraient devenir insomniaques et se venger en détruisant la planète. Par exemple, à grands coups d'achats compulsifs par des télé-achats à la boutique TVA...

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Vu d'ici, texte de Mathieu Arsenault, adaptation de Mathieu Arsenault, Christian Lapointe et Jocelyn Pelletier, jusqu'au 4 octobre à La Chapelle.