Le Théâtre Denise-Pelletier a démarré de belle façon, la semaine dernière, sa nouvelle saison d'itinérance en présentant à la salle Pierre-Mercure deux pièces d'Eugène Ionesco: La cantatrice chauve et La leçon.

Adapté en 2007 par le Théâtre des fonds de tiroirs, qui avait présenté les deux pièces à ses débuts il y a 10 ans, ce doublé de Ionesco réunit les mêmes acteurs qu'en 1997. Une façon pour ces artisans du Conservatoire de Québec de voir «comment ils ont évolué», confiait récemment le metteur en scène Frédéric Dubois.

Quand même étrange l'univers de Ionesco, où l'on bute continuellement sur le sens et le non-sens des mots, mais également sur la raison d'être des personnages. La cantatrice chauve par exemple est une «antipièce» où il n'y a ni intrigue... ni cantatrice chauve. Même les dialogues n'en sont pas vraiment.

Un couple des environs de Londres, M. et Mme Smith, discute à bâtons rompus. On a l'impression de voir deux pantins. Ils ont mangé de la soupe, du poisson et des patates... Y avait-il de l'anis étoilé dans la soupe? On parle pour parler, en faisant usage de toutes les trivialités. Fait cocasse, Ionesco aurait écrit cette pièce après avoir suivi des cours d'anglais avec la méthode Assimil.

Arrive un autre couple, M. et Mme Martin. Les deux personnages évoquent des souvenirs communs pour finalement conclure... qu'ils dorment dans le même lit. «Comme c'est curieux, comme c'est bizarre. Et quelle coïncidence», disent-ils en se remémorant les moments-clés de leur relation. «Mais je ne m'en souviens pas...»

À la fin de ce curieux échange, le couple dira: «Oublions tout ce qui ne s'est jamais passé entre nous et vivons comme avant!» Et vlan!

La mise en scène de Frédéric Dubois est réglée au quart de tour. Avec les dialogues de coq à l'âne de Ionesco, il serait facile de plonger le spectateur dans un coma temporaire... Mais le metteur en scène de Québec réussit à composer un véritable tableau à partir d'un texte biscornu qui donne le vertige.

Un musicien (Pascal Robitaille) occupe une petite partie de la scène et donne le tempo aux répliques des personnages. Très efficace. Orgue, flûte et autres bruitages (dont les fameux coups de pendule) sont intimement liés au jeu.

Les acteurs sont tous très bons. Le duo formé de Sylvio-Manuel Arriola et Ansie St-Martin en particulier (M. et Mme Smith). Idem pour le capitaine des pompiers, Christian Michaud, à la recherche d'un feu... Seul Jonathan Gagnon semblait parfois hésitant dans son rôle de M. Martin, pourtant bien soutenu par Mme Martin, interprétée avec précision par Monelle Guertin. Julie Roussel complète la distribution dans le rôle de la bonne.

Une leçon d'acteurs

À l'entracte, fait amusant, le public tire au sort parmi les six comédiens de La cantatrice chauve, les deux qui interprèteront les rôles de l'élève et du professeur dans La leçon. Samedi après-midi, c'est Monelle Guertin et Christian Michaud qui ont relevé le défi. Avec Catherine Larochelle dans le rôle de la bonne.

Cette courte pièce construite en crescendo met en scène un vieux professeur et une jeune élève venue parfaire ses connaissances en prévision de son doctorat. L'enseignant, courtois et même timide au début, aborde plusieurs disciplines: l'arithmétique, la linguistique, la philologie... Au fil de la leçon, le professeur s'énerve contre l'élève qui ne comprend pas.

La performance du professeur est un défi d'acteur en soi, car les mots défilent ici en un flot ininterrompu. Tant et tellement qu'on ne les entend plus. Ils nous assomment, de plus en plus violents. Et incompréhensibles. Malgré cela, on attend, impatient, le dénouement tragique. Christian Michaud est remarquable.

Deux pièces donc avec plusieurs niveaux de lecture. Qui nous font prendre conscience du poids des mots. De leur pouvoir destructeur. Mais aussi de leur vacuité et de leur insignifiance.

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La cantatrice chauve et La leçon, du Théâtre des fonds de tiroirs, au Centre Pierre-Péladeau jusqu'au 27 septembre.