Tout le monde (ou presque!) a lu La vie devant soi de Romain Gary, alias Émile Ajar. Primé d'un Goncourt posthume en 1975, ce roman est une ode à la tendresse qui triomphe de la pauvreté et de l'ignorance. Louise Marleau signe sa deuxième mise en scène au Rideau Vert avec la version théâtrale de La vie devant soi de Xavier Jaillard. Madame Rosa et Momo prendront les visages de Catherine Bégin et Aliocha Schneider.

Le regard lumineux de Catherine Bégin éclaire la salle de répétition du Rideau Vert, où elle est absorbée dans la lecture de son texte. La comédienne se transformera bientôt en Madame Rosa. Délaissant son rôle pour se prêter à l'entrevue, elle décrit Madame Rosa. Soudain, le souvenir de La vie devant soi s'éveille en mon esprit.

 

«Elle est une ancienne prostituée du quartier Belleville, de Paris. Depuis qu'elle ne travaille plus, elle a inventé le métier de garder les enfants des putains du quartier. La loi leur interdit de s'occuper de leurs enfants parce qu'elles sont prostituées et donc frappées de déchéance maternelle.»

Surgit ensuite le visage de Momo, un petit garçon laissé chez Madame Rosa à l'âge de 3 ans. Son père (»un proxénète, macho fini qui se trouvait à être Arabe») a tué la mère du petit dans un excès de jalousie, et a demandé à ce que son fils soit élevé dans la religion musulmane. Mais Momo ignore tout ça, s'imaginant que son père a été un grand héros algérien.

«Cela fait neuf ans que Momo est chez Madame Rosa. Il a grandi à ses côtés et une extraordinaire tendresse s'est développée entre eux. Elle l'a éduqué comme elle a pu, avec une intelligence du coeur et une générosité. Mais elle est profondément inculte et a des préjugés qui s'accordent avec ce qu'elle a appris. Elle est donc réactionnaire par rapport à l'homosexualité, non par étroitesse d'esprit, mais par simple manque de culture», ajoute Catherine Bégin.

Un peu de tendresse

Au cours de la discussion avec la comédienne, son jeune partenaire de scène, Aliocha Schneider, arrive au théâtre. Vu sur scène dans La promesse de l'aube et au cinéma dans Bon Cop, Bad Cop et Maman est chez le coiffeur, Aliocha répète son rôle de Momo après ses classes au Collège Brébeuf. «Momo est un personnage que j'adore, lance candidement l'adolescent, qui a bruni ses blonds cheveux pour les besoins du rôle. Il a beaucoup de sensibilité pour un jeune garçon. Il est super naïf, même s'il vit des trucs pas faciles.»

Ce qui nous amène à parler de la dure réalité des banlieues, qui est dépeinte par Gary. Des rapports intergénérationnels esquissés avec une infinie tendresse. Et, bien sûr, de la marginalité colorée issue de la plume de cet auteur majeur qui a choisi de mettre fin à ses jours plutôt que de devenir un vieillard.

«Avec Momo, c'est une relation filiale et amicale que noue Madame Rosa. Il est son assistant. Elle se fie à lui pour tout, il l'aide énormément et va la protéger», souligne Catherine Bégin.

Sur la scène du Rideau Vert, on verra l'effet de l'usure, de la vieillesse et de la maladie sur cette femme forte qui gardera son humour jusqu'à la fin. Elle se projettera aussi dans le passé, dans son souvenir de la déportation à Auschwitz. «Je dois prendre le physique d'une femme de 69 ans qui a de la difficulté à respirer, mais qui, dans sa tête, a 30 ans de moins. Ce n'est pas facile à jouer, mais c'est passionnant», affirme Catherine Bégin.

On ne retrouvera pas tous les personnages du roman dans cette adaptation de Xavier Jaillard. Par exemple, le personnage de Madame Lola (travesti sénégalais, ancien champion de boxe, qui bosse au Bois-de-Boulogne) a été coupé. Mais la base de l'histoire originale demeure, assure Catherine Bégin. «Ce qui subsiste, c'est l'amour humain, la générosité de coeur et la largeur de vue comme seuls remèdes contre l'intégrisme et les conflits raciaux.»

Une note d'espoir pour tous les petits Momo de ce monde.