Le deuxième spectacle de Louis T, en rodage, devrait être prêt au début de l'an prochain. On peut voir ses capsules Vérités et conséquences sur ICI Tou.tv (dont une sur le cannabis). Discussion sur la légalisation, la gauche et la droite, avec le plus journaliste des humoristes.

C'est bien connu qu'il y a beaucoup d'humoristes qui sont des poteux...

Oui. Tu veux qu'on les nomme? [Rires] Je suis surpris à quel point il y a beaucoup d'humoristes qui ont effectivement ce beat, j'allais dire un peu adolescent. Ceux que je connais qui fument, c'est surtout pour contrôler leur anxiété. Ce n'est pas pour la créativité. Ce sont de grands anxieux qui s'automédicamentent... Alors que moi, fumer me rend anxieux, donc je ne fume pas.

Qu'est-ce que tu penses de la légalisation du cannabis?

Je ne pensais pas que ce serait un sujet polarisant. Quand, il y a quelques années, Justin Trudeau en a parlé en campagne électorale, je pensais que c'était le genre de sujet qui ne ferait pas de vagues. Je m'explique mal pourquoi ça vient choquer des gens. À mon avis, il y en a là-dedans qui n'aiment pas Trudeau et qui font des amalgames. Ils en ont contre Trudeau-la gauche-les musulmans! Ils n'aiment tellement pas Trudeau que n'importe quel prétexte est bon pour s'opposer à lui.

C'est paradoxal dans la mesure où la génération des baby-boomers est celle qui a embrassé le pot à l'époque du flower power... C'est tellement associé à leur jeunesse.

J'ai beaucoup lu sur le sujet. J'ai fait une capsule là-dessus l'an dernier et ça démontrait à quel point il y a peu d'études sur le pot, en comparaison avec l'alcool ou le tabac. La fumée secondaire, on ne saura pas avant 15 ans quels en sont les effets. Mais on surestime vraiment le nombre de gens qui fumaient dans les années 60 et 70. C'était plus conservateur qu'on pense. Beaucoup plus qu'en ce moment. Il y a eu un 20 % de gens qui embrassaient le flower power. Mais ils étaient minoritaires dans une société qui portait encore des chapeaux pour aller à l'église.

C'était la jeunesse de l'époque. Ça n'a pas beaucoup changé. D'après les statistiques, 70 % des consommateurs de cannabis au Québec sont des jeunes de moins de 25 ans.

Je regarde les gens se chicaner sur les réseaux sociaux à propos du pot. Sporadiquement, il y a de ces sujets qui sont juste assez complexes pour nous rappeler comment les gens ne sont pas informés. Le factuel se noie dans la mare d'opinions. Jeff Fillion a dit que les Québécois étaient ceux qui fumaient le plus de pot et que ce n'était pas étonnant. Mais c'est au Québec qu'on fume le moins au pays! On n'a même pas les bases pour en discuter. Il y a seulement 10 % de la population qui a fumé du pot dans les trois derniers mois. Moi, les gens que je connais qui avaient le plus hâte que le pot soit légalisé, ce sont ceux qui en avaient déjà dans leurs poches! Ce ne sont pas des produits que j'apprécie nécessairement, le pot, les drogues. Et je conçois que des gens plus conservateurs soient contre la légalisation.

La légalisation, c'est un moindre mal...

Exact. Cela dit, s'il y a des conservateurs qui diabolisent le pot, il y a beaucoup de gens qui le banalisent en disant qu'il n'y a rien là. C'est bon chic, bon genre de dire ça. Il ne faut pas minimiser non plus les effets. Le problème, comme pour la plupart des sujets qui polarisent de nos jours, c'est qu'on écoute surtout les grandes gueules, à gauche comme à droite. Si tu veux plaire, il faut que tu ailles vers l'un ou l'autre de ces deux pôles-là. Comme humoriste, si tu veux vendre des tickets, la nuance, ce n'est vraiment pas payant!

Comment tu fais pour vendre les tiens?

Je n'en vends pas beaucoup, honnêtement! Les gens ne pensent pas que je suis drôle, parce que mes interventions télé, radio et web sont souvent plus axées sur l'information que sur mon humour. Mais sur scène, je suis cinq fois plus drôle que ce que les gens peuvent penser! Ils ne savent pas que je suis un humoriste. J'ai pris de mauvaises décisions que j'assume, qui font que les gens pensent que je suis un animateur/chroniqueur. Je me dis des fois que je pourrais essayer davantage de plaire à la gauche, mobiliser les gens pour qu'ils sortent de leur salon et qu'ils viennent voir mon spectacle. Mais pour qu'ils paient 40 $, il faut qu'ils aient l'impression que tu vas leur dire tout ce qu'ils ont envie d'entendre, pendant une heure et demie. C'est ce que Guy Nantel a fait avec la droite, peu importe ce qu'on en pense, parce qu'il y avait une clientèle là.

Je t'ai toujours perçu davantage comme un centriste, qui a une démarche journalistique dans son humour. Tu t'appuies sur les faits, et je ne sais jamais si tu vas pencher d'un côté plutôt que de l'autre.

C'est vrai, même si j'ai de plus en plus une tendance vers la gauche. Je suis progressiste. Mais mon travail, ma lecture de la société, c'est d'informer les gens. Sous mes capsules, il y a des gens qui accrochent à une phrase, d'un côté comme de l'autre. Ma capsule sur le pot, l'an dernier, je la trouvais nuancée. Je disais que le Colorado ne s'était pas transformé en un enfer après la légalisation, mais que la fumée, ce n'est pas bon pour les poumons. Il y a un gars du Bloc Pot qui s'est mis à m'insulter! Alors que je croyais que les boomers m'accuseraient de minimiser les effets. Je suis content que ce soit sur le pot ou sur le lait qu'on se chicane, plutôt que sur les musulmans! Mais ça témoigne de notre manque de maturité et de sagesse collective.

Tu as l'impression qu'en humour, aujourd'hui, à l'image de la société, on doit choisir son camp pour ne pas s'aliéner son public naturel?

Oui. C'est sûr. Si ce n'était que j'ai profondément envie de nuance et que ça me rend anxieux, la polarisation, si j'étais un petit peu plus sociopathe ou égocentrique, je me dirais que je pourrais faire 200 000 $ par année en parlant uniquement à la gauche. Les gens de droite pensent probablement que je fais déjà ça! Tu sais, en humour, j'ai la réputation d'être un humoriste de droite. J'ai voté pour la CAQ en 2012. J'étais un jeune homme plus fâché, plus conservateur à cette époque-là. J'étais entouré de gens de gauche et j'aimais bien être à contre-courant.

Tu as souvent dit que dans ta famille, les gens sont plus à droite...

Je viens du Saguenay! Mais c'est comme partout au Québec, quand on sort de la planète Montréal. Les gens sont généralement plus à droite qu'on pense. Je me ferais moins aimer sur le Plateau si j'étais plus à droite - il faudrait que je déménage -, mais je ferais plus d'argent! [Rires] Guy Nantel semble un peu amer de ça. Je conçois que dans l'univers médiatique, ça le rend moins cool, mais il parle à 80 % des gens! C'est un gros marché.

C'est important d'avoir des antennes sur ce qui se passe à l'extérieur de Montréal, qui est comme tu dis un microcosme. De comprendre les craintes de chacun, qui sont légitimes. Qu'est-ce qui a fait de toi un gars moins à droite?

Avoir des amis filles et de minorités ethniques. Leur parler, voir leur quotidien. Et comprendre que même si certaines choses me fâchent, comme gars de la majorité, je suis privilégié. Moi aussi, il y a des aspects de l'immigration qui me font peur. J'ai peur qu'on perde nos valeurs communes, que ça se mette à parler en anglais au Québec, que les francophones ne forment plus la majorité. Mais quand tu as des amis qui se font régulièrement insulter parce qu'ils sont d'une minorité ethnique, qui se font dire de retourner dans leur pays, c'est bien pire que ce que je vis. J'ai peur aussi des débordements du #metoo, mais les milliers de voix de femmes qui n'ont pas été entendues, ça vaut plus que mes privilèges en ce moment. Mais je sais aussi que je suis plus privilégié que d'autres gars du Saguenay qui n'ont pas beaucoup de privilèges à sacrifier.

Tu veux leur parler aussi...

Si ton combat n'est pas égocentrique, si tu ne veux pas seulement vendre des tickets mais faire progresser les choses, il faut que tu arrives à rejoindre et à parler aussi à ces gens-là. Tu ne peux pas rester à Montréal et rire d'eux. Je travaille beaucoup là-dessus dans mon deuxième spectacle. Quand les gens de gauche se font traiter de moralisateurs, c'est vrai qu'on l'est beaucoup. On est aussi parfois hypocrites. Je conduis un VUS. Ça me fait chier de faire du compost. Je le fais, je veux le faire, mais je l'oublie des fois! Je n'ai pas voté Québec solidaire, mais je serais prêt à sacrifier mon confort si tout le monde le faisait. Si on m'y contraignait par une loi. Les gens qui votent QS n'ont pas le mode de vie qu'ils prétendent avoir. Mais ils seraient peut-être prêts à se le faire imposer. La droite assume plus son égocentrisme. La gauche est égocentrique, mais est plus hypocrite!