L'humoriste Virginie Fortin sera, le 14 avril, du gala de clôture du Dr Mobilo Aquafest, dont elle est une membre-fondatrice. Du bruit dans le cosmos, premier spectacle solo de la comédienne de la série télé Trop, est actuellement en tournée, avant sa première montréalaise au Théâtre Outremont les 6 et 7 novembre.

Marc Cassivi: Ta «première» aura lieu dans sept mois, mais tu es en tournée depuis le mois dernier. En humour, la première se rapproche de plus en plus de la dernière...

Virginie Fortin: C'est vrai que c'est un concept bizarre, mais je ne suis pas la meilleure personne pour t'en parler! J'essaie d'être «para humour» et de faire mon petit spectacle. Je ne sais pas comment les humoristes font pour faire leur spectacle 400 fois. J'ai l'impression qu'au bout de 100-120 shows, je vais avoir eu le temps de ne plus être d'accord avec ce que je disais au départ.

Marc Cassivi: Notre pensée évolue...

Virginie Fortin: Exactement. Je repense à ce que je faisais avec Mazza-Fortin [son duo avec Mariana Mazza] il y a quelques années et je trouve ça bien drôle, mais il y a des choses que je n'ai plus le goût de dire. J'écrivais des one-liners, des blagues rythmées, pour comprendre la mécanique. J'ai acquis une confiance qui me permet de me lancer dans de plus grandes élucubrations, pour finir avec une joke qui, je l'espère, justifie les trois minutes de mise en contexte.

Marc Cassivi: Tu dis que tu essaies d'être «para humour». C'est une volonté de faire les choses différemment, comme le Dr Mobilo Aquafest?

Virginie Fortin: Faire de l'humour n'a jamais été un rêve pour moi. Même que plus jeune - ça va sembler «pas fin» -, je n'avais pas d'admiration pour les humoristes. J'ai fait beaucoup d'improvisation et j'avais l'impression que c'était plus de travail de faire rire sans avoir pu se préparer. Mais quand j'ai commencé à faire de l'humour, je me suis vite rendu compte que j'avais tort. Il y a quelque chose de terrifiant à écrire ses idées et à les défendre comme si c'était la chose la plus drôle au monde sur scène. Maintenant, j'ai une plus grande admiration pour les stand-up. Mais c'est vrai que je trouve que le milieu de l'humour est devenu... pas homogène...

Marc Cassivi: Conformiste?

Virginie Fortin: Lorsqu'on parle d'art pictural, on sait que tout le monde ne peint pas de la même façon et qu'il y a plusieurs styles. Dès qu'on fait de l'humour, on réduit ça à «de l'humour», alors qu'il y a un large spectre.

Marc Cassivi: Est-ce à cause de la finalité de l'humour? De la pression de faire rire?

Virginie Fortin: C'est peut-être parce qu'on est un petit milieu, avec un micro star-système et une machine bien huilée qui fait que l'on sait ce qui marche. Alors on le fait et on le répète.

Marc Cassivi: On a une vision un peu étriquée de ce qu'est l'humour?

Virginie Fortin: Peut-être. C'est en découvrant des humoristes d'ailleurs - je ne jure que par Stewart Lee, Bridget Christie et Daniel Kitson, qui sont des Anglais - que j'ai été en contact avec un humour qui me «parlait» davantage. J'aime que le cerveau de l'humoriste passe par des chemins différents du mien. Stewart Lee et Bridget Christie ont changé ma manière de penser, de façon générale. On veut rire et décrocher, mais je trouve qu'il y a d'autres façons de le faire.

Marc Cassivi: Avec une réflexion plus profonde?

Virginie Fortin: Avec une autre manière de penser.

Marc Cassivi: Est-ce qu'il y a une résistance, au Québec, à un humour plus décalé ou champ gauche?

Virginie Fortin: Je ne pense pas qu'il y a de réelle résistance. On a créé le Dr Mobilo Aquafest et, l'an dernier, on avait 10 shows sold-out sur 14. Ce public-là existe. Mais c'est sûr que lorsque tu fais une soirée d'humour avec six humoristes, même si tu te sens libre de faire ce que tu veux, tu es forcément comparé à des gens qui ne font pas nécessairement la même chose que toi. Surtout si tu le fais devant des gens qui viennent voir «de l'humour»...

Marc Cassivi: Tu ne veux pas gâcher leur fun, donc tu t'autocensures?

Virginie Fortin: Je pense que parfois, ça te joue dans la tête. Ce n'est pas que j'ai un humour si différent, mais parfois, ça nous influence, parce qu'il y a un mécanisme auquel on a habitué les gens: «Un, deux, trois, hahaha!», sept minutes de blagues sur un gala qui deviennent quatre minutes à la télé, etc. Il faut que ce soit drôle. Mais le format efficace nourrit peut-être plus la business que l'art.

Marc Cassivi: Sens-tu que tu dois faire des compromis, dans ton spectacle, pour plaire à un public plus vaste que celui de Dr Mobilo?

Virginie Fortin: Le monde n'est pas nouille! Peut-être qu'il y a des gens qui viennent me voir et qui se disent: «Hépelaille! Elle était plus drôle à Atomes crochus!» Mais au final, je n'écris pas un essai philosophique. J'écris un show d'humour. Il y a aussi un changement de garde. Il y a une relève qui arrive avec des idées et des envies nouvelles. Même si certains jeunes recyclent de vieilles recettes. Peter MacLeod n'attire pas le même public que moi et c'est parfait que ces deux publics-là existent. Il y a peut-être des gens qui aiment Peter MacLeod, qui pensaient qu'ils aimeraient Virginie Fortin et qui se rendent compte que non...

Marc Cassivi: Je voulais justement te parler de jokes de mononcles... Tu parlais de changement de garde. Je t'ai entendue dire: «Hey les boys, on peut-tu changer de registre?»

Virginie Fortin: Je me permets de le dire même si, en fouillant dans des blagues que j'ai faites, il y en a qui sont de ce type-là. Je suis aussi dans le tort. On peut dire: la madame du dépanneur est grosse ou tel gars est donc ben fif. Tu peux le dire. Mais est-ce réellement la chose que tu trouves la plus risible? Tu ne trouves pas que d'être à l'aise de traiter quelqu'un de fif, c'est encore plus risible? Certains diront que c'est de la censure et qu'on ne peut plus rien dire. Tu peux le dire. Moi, je fais le choix moral de ne plus trouver ça drôle et j'aspire à rire, pas des plus faibles, mais des gens qui ont du pouvoir.

Marc Cassivi: Le plus ironique, c'est que ceux qui disent qu'on ne peut plus rien dire ont quantité de tribunes pour le dire...

Virginie Fortin: Ou ils vont dire: c'est juste des blagues, c'est juste de l'humour. Ce n'est plus de ça que j'ai envie de rire. J'ai envie de rire de ceux qui ont encore envie de faire ces blagues-là, espèces de dinosaures!

Marc Cassivi: Tu es impliquée dans la coop de Dr Mobilo, mais ton spectacle est produit par Juste pour rire. Il y a un paradoxe là?

Virginie Fortin: Mobilo n'est pas anti-Juste pour rire. C'est une alternative. J'arrive dans le milieu de l'humour et le passage obligé, c'est encore Juste pour rire et la grosse machine. Je ne peux pas arriver en clamant mon indépendance totale. Certains l'ont réussi, comme Simon Leblanc. C'est tout à son honneur et c'est formidable. J'ai signé avec Juste pour rire il y a quatre ans, et tout est arrivé au moment où je commençais mon show à l'automne. Je me suis demandé si je devais partir. Mais le mal était déjà fait. Je ne crois pas que ce n'est pas conséquent. C'est conséquent pour un début de carrière.

Marc Cassivi: Pour faire de l'humour comme jeune femme en 2018, est-ce qu'il faut encore faire partie du «boys club»?

Virginie Fortin: On a un groupe de femmes en humour sur Facebook et parfois, on s'envoie des messages déplacés qu'on reçoit. Parfois, on fait juste ventiler. Je veux juste faire des blagues comme les autres. Je ne veux pas porter une cause et brûler ma brassière. Mais on n'a pas le choix en ce moment. Certains disent qu'il ne faut pas prendre six filles et six gars à l'École de l'humour juste parce qu'on veut des filles. Lorsque c'était 100 % des gars, personne ne remettait ça en question. Ça va prendre plus que quelques années de quotas imposés pour renverser 2000 ans d'absence de remise en question. Qu'est-ce qu'on fait? On attend encore?

Marc Cassivi: Je pense qu'on a fait la preuve qu'attendre que les choses se fassent naturellement, ça ne fonctionne pas... Généralement, les gens en position de pouvoir apprécient beaucoup le statu quo. Ils sont rares à dire: «Il me semble que j'aimerais abandonner mes privilèges!»

Virginie Fortin: Je comprends les filles qui disent qu'elles ne veulent pas être un «quota». Mais sais-tu quoi? Il va falloir que quelques-unes d'entre nous acceptent d'être un «quota». Pour que plus tard, on ne se pose plus la question. Quand il y a un show d'humour avec six gars, on ne dit pas que c'est un show de gars. Mais s'il y a six filles, on dit que c'est un show de filles. Parce que la norme, c'est le show de gars. Depuis 2000 ans.