Dans son sixième spectacle, Un village en trois dés, Fred Pellerin revient au moment zéro de la fondation de son Saint-Élie-de-Caxton et s'interroge sur la foi qu'il faut pour poser des gestes fondateurs. Arrive en même temps la nouvelle saison de Saint-Élie-de-Légendes, série documentaire qui prouve que les concitoyens du célèbre conteur sont vraiment la source, toujours renouvelable, de son inspiration.

Parole de Pellerin, Un village en trois dés, son sixième spectacle de contes, est celui qu'il considère comme le plus solide à quelques jours de la première. Il faut dire qu'il l'a rodé pendant six semaines au théâtre de L'Atelier, à Paris, avant de le présenter officiellement au Québec. 

« Je n'ai aucun stress pour la première, dit-il. Ma seule nervosité, c'est la hâte. Parce qu'au Québec, c'est plus chargé, les gens ont suivi mes spectacles. Je ne suis jamais arrivé avec un show aussi préparé. »

Ce nouveau spectacle, il l'aime particulièrement, et pour plusieurs raisons. « J'ai l'impression de toucher beaucoup de zones dans la gamme émotive. Quand j'ai fait L'arracheuse de temps, sur la mort, le deuil, j'ai gratté cette affaire-là pendant quatre ans, j'allais planter le couteau dans la plaie pour toujours être dans l'émotion réelle. Quand je suis arrivé avec Une odeur de muscle, je n'en pouvais plus de ce sentiment-là. De peigne et de misère était dans la lumière. Là, je renoue avec cette partie d'émotion que je ne pouvais plus faire. On dirait que j'arrive à faire un bouquet. »

Conteur, artiste, musicien, scénariste et citoyen impliqué, les dimensions de Pellerin sont nombreuses et convergent toutes vers Saint-Élie-de-Caxton, ce petit village à l'origine de son univers foisonnant. À propos de ce spectacle, il écrit : « À l'ère de la réalité augmentée, des écrans géants, de la haute définition et de l'expérience immersive, j'ai pris la haute résolution de m'en tenir à la légende. » En effet, pourquoi se limiter au virtuel quand la réalité est si riche ?

QU'EST-CE QUE CROIRE ?

Un village en trois dés raconte la naissance de Saint-Élie-de-Caxton, qui n'a plus besoin de présentation pour les fans de Pellerin. Ce qui n'empêche pas ceux-ci d'en redemander. 

« Au début, j'avais envie de me questionner sur la foi. Dans tous ses actes, et toutes ses destinations. Le fait de croire, en des affaires, en un tour de magie, au Bon Dieu ou en un projet collectif. La foi dans la chose collective était peut-être la partie qui m'animait le plus. En cours de route, j'ai rencontré un mystère qui préside à la naissance de Saint-Élie-de-Caxton, le 12 avril 1865. Le spectacle porte sur ce moment de la fondation. Avec les personnages que l'on connaît, mais peut-être moins établis dans leurs métiers et leurs penchants, et de nouveaux personnages. La première postière. Un fascinateur... »

Mais, on le sait très bien, le conteur veut toujours nous amener plus loin que la simple anecdote, quand bien même il est capable de la démonter et de l'étirer dans tous les sens.

 « Mon questionnement à la fin est : existe-t-on collectivement ? Réellement ? Est-ce que tu appartiens à une communauté, est-ce que tu as le goût de cette affaire-là ? »

- Fred Pellerin

« Appartenir à une collectivité, poursuit-il, ça donne beaucoup de sens aux gestes individuels. Dans l'illusion de l'être et d'avoir 6000 amis Instagram, as-tu des soupers avec du monde ? Un projet avec quelqu'un ? J'avais la chance de questionner l'acte fondateur, cette chose-là qui serait assez forte pour faire l'unanimité. Je pense que je l'ai trouvée et que personne ne pourra être contre. »

L'unanimité ? C'est probablement la magie du conte, car il n'y a rien de plus glissant et de plus polarisant, ces temps-ci, que les questions identitaires, et il en est bien conscient. « Le poète Christian Vézina dit que l'identité, c'est trois choses : territoire, mémoire, espoir. Un allant vers quelque chose. C'est intéressant dans la quête de la définition. Ça n'est pas un péché d'exister. Souvent, ça devient quelque chose d'exclusif, comme si se définir, ça créait quelque chose qui n'est pas dans la définition. Mais la définition n'exclut pas l'accueil, l'immersion, les bras ouverts. »

QUOI DE NEUF À SAINT-ÉLIE ?

Si Fred Pellerin nous fait passer par toute la gamme des émotions dans ses spectacles, on peut dire qu'il en fait voir de toutes les couleurs aux habitants, déjà très colorés, de Saint-Élie-de-Caxton. L'an dernier, au terme de sa tournée musicale Plus tard qu'on pense, plusieurs dizaines d'entre eux, qui avaient formé une chorale pour l'occasion, ont participé avec lui à un grand spectacle sur les plaines d'Abraham. 

« Ça a été un très gros moment pour les gens du village, explique-t-il. On en a eu pour des semaines à décanter ça. La caissière pleurait chaque jour. Tsé, quand tu montes sur scène, tu reçois quelque chose. Devant 60 000 personnes, c'est une charge qui secoue énormément. J'avais pas pensé que les gens du village n'avaient pas un passé de scène. Ils recevaient ça à frette. Il a fallu finir par faire une réunion pour se dire "c'est cool". »

Comme si ce n'était pas assez, Fred Pellerin, après avoir cosigné le scénario de Pieds nus dans l'aube, le film de Francis Leclerc, est aussi à l'origine de la série documentaire Saint-Élie-de-Légendes, dont la deuxième saison vient de commencer à Radio-Canada, qui nous présente les personnages réels du village et qui nous fait comprendre à quel point Pellerin n'a vraiment pas tout inventé dans ses contes. Il y a un petit parfum de Pour la suite du monde de Perrault dans cette série franchement étonnante. On découvre avec ahurissement Rocker, un monomane de la pelle, obsédé par la météo. Ça ne s'invente pas, des gens comme ça - et ce sont les légendes de demain, selon Pellerin. « Les personnages qu'on a suivis l'an dernier ont vu leur vie transformée. Il y a des gens qui les cherchent, qui les invitent à leur anniversaire de mariage, qui achètent les affaires qu'ils ont fabriquées, qui leur téléphonent pour avoir des conseils pour leurs jardins... »

Et Fred Pellerin de résumer le phénomène dont il est né lui-même : « Il y a plus d'histoires qui se créent chaque jour chez nous que je peux en raconter chaque soir sur scène. Ce village est une ressource renouvelable. Le conte n'est qu'un symptôme de ce qui m'habite par rapport à Saint-Élie-de-Caxton. »

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Un village en trois dés de Fred Pellerin, les 30 novembre, 1er et 2 décembre au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, les 19 et 22 décembre au Grand Théâtre de Québec. Nouvelles supplémentaires : les 17 et 18 février à Montréal et le 22 mars à Québec. 

Saint-Élie-de-Légendes, les lundis, 20 h, du 20 novembre au 11 décembre, à Radio-Canada

Photo Yan Doublet, archives Le Soleil

Fred Pellerin au Festival d'été de Québec en 2016