Le troisième festival Dr. Mobilo Aquafest aura lieu du 6 au 14 avril. Ce festival d'humour libre - avec un nouveau volet musical - comptera 18 spectacles, deux galas et mettra notamment en vedette Virginie Fortin, Catherine Éthier, Adib Alkhalidey et Mike Ward. Entretien avec l'un de ses fondateurs, Guillaume Wagner.

Un regroupement d'humoristes vient de lancer un nouveau festival. Le vôtre se proposait déjà comme une «alternative» à Juste pour rire?

C'est une alternative à la grosse machine. On l'a lancé il y a trois ans, à une époque où ça pouvait vraiment mettre en rogne Juste pour rire. Et c'est ce qui s'est passé. J'ai beaucoup d'amis humoristes qui font des choses super intéressantes, très champ gauche, et qui n'avaient pas leur place dans les galas Juste pour rire. On avait envie qu'ils soient mis en lumière. Parce qu'il existe un tout autre public : des jeunes qui ne se retrouvent plus depuis longtemps dans ce que fait Juste pour rire. Qui trouvent cet humour mononcle, formaté, plate.

Il y a beaucoup de jeunes humoristes qui trouvent déjà leur public hors du cadre de Juste pour rire, avec d'autres moyens de promotion, sans avoir fait d'école, etc.

Effectivement. Mais ce que je remarque, c'est que c'est un métier solitaire et que ça peut devenir décourageant à la longue de tout faire soi-même. On avait envie de créer un groupe où on s'entraide. Il y a un esprit collectif. C'est une coop, d'ailleurs. Tu deviens membre, tu peux voter, tu peux être élu au C.A. Il y a de la place pour ceux qui font des trucs plus en marge. L'humour, c'est un art. Qu'on arrête de présenter ça comme du gros divertissement «gomme balloune» pour tout le monde.

L'humour peut aussi être perçu comme une business. On peut être d'accord avec les valeurs qui sous-tendent la création du nouveau Festival du rire, mais aussi sentir qu'il y a eu un urgent besoin de protéger des acquis économiques...

Je n'ai pas vraiment été impliqué là-dedans. Mais j'ai senti ça venir avant la première réunion [entre humoristes à la suite des allégations contre Gilbert Rozon]. Et les échos que j'en ai eus ont confirmé certaines craintes. Beaucoup de gens s'attendaient à ce qu'on parle du sexisme en humour, du climat de silence qui existe. Je pense que c'était le temps de s'avouer qu'on avait tous entendu des rumeurs, même si on n'a pas été témoin directement. De se demander: qu'est-ce qu'on aurait pu faire?

C'est intéressant de se poser la question...

Tous les humoristes sont des PME. «Moi, je n'ai rien vu, je ne savais rien, je suis très choqué!» Je ne suis pas sûr qu'il faut en rester là. Il faut se demander ce qu'on va faire la prochaine fois que ça arrive, parce que ça peut arriver. Il faut se questionner sur les relations de pouvoir. Gilbert avait du pouvoir et tout le monde en a profité. Je trouve comme toi qu'on a surtout mis l'accent sur la business. Même s'il y a eu une deuxième réunion où d'autres questions ont été posées, avec une sexologue, etc. Mais il y avait moins de monde...

On me dit que tout le monde n'a pas les mêmes préoccupations...

Il y a comme un fossé qui se creuse entre les plus jeunes - la relève - et les autres. Cela dit, tant mieux s'ils veulent créer un autre modèle. Nous, on est une coopérative et on aurait même pu les aider, mais on ne nous a pas appelés. Je trouve ça un peu bizarre. Toutes les valeurs qu'ils défendent sont celles qu'on défend.

Tu trouves ça ironique?

Je pense que la perception que le milieu de l'humour a de nous est qu'on est très fermés et élitistes. On choisit en gang ce qui se retrouve ou pas dans la coop et dans le festival, parce qu'on ne veut pas de quelqu'un qui aurait un discours misogyne ou raciste. Je ne dis pas qu'on ne fait pas d'erreurs! On encourage la prise de risques. On n'est pas à l'abri, même si tout le monde est conscient qu'il faut faire attention.

Tant que ça reste du second degré! Il y a quand même des vases communicants entre les deux festivals : je remarque qu'Adib est dans les deux groupes...

Oui! Adib, c'est l'amour. Il aime tout le monde. C'est une belle qualité. Moi, je suis le contraire, en fait! [rires] C'est pour ça qu'on se complète bien et qu'on s'aime bien. Ils ont appelé Adib, mais pas moi. Sincèrement, je leur souhaite bonne chance dans tout ça. C'est un moment difficile pour l'humour. C'est un moment étrange et je pense que tout ce qu'on fait, il va falloir le faire avec délicatesse. Je ne pense pas qu'on ait la cote en ce moment.

Crains-tu que le public ait l'impression qu'il y a une guéguerre entre humoristes qui se profile avec le nouveau Festival du rire, Dr. Mobilo et Juste pour rire, qui a déjà annoncé ses dates?

Je n'en ai aucune idée. S'il y a des gangs, je ne sais pas qui est avec qui ni pourquoi. Dans la coop Mobilo - ça fait gang! -, on essaie d'être prudents avec tout ça. Ce n'est pas le moment de partir des guerres. Je dis ça alors que j'ai l'air de m'attaquer à tous les humoristes, tous les jours! Quand je le fais, c'est parce que je suis tanné que l'humour soit perçu comme un divertissement niaiseux. On peut être responsable, faire attention à ce qu'on dit et essayer de faire notre métier du mieux qu'on peut. Mais j'essaie de faire de plus en plus attention. Je réalise qu'il y a des gens qui me haïssent de manière professionnelle!

Je compatis... Ça te pèse?

Oui. Tu deviens le centre d'attention, peu importe ce que tu dis. J'ai écrit un truc sur mon compte Facebook privé à propos de Guy Nantel et c'est devenu une nouvelle dans Le Journal de Montréal. J'essaie de ne plus tweeter. Il manque souvent le ton. Tu fais une blague et c'est perçu comme une attaque.

Ça me fait penser à ta sortie sur Facebook à propos de Gilbert Rozon. Plusieurs t'ont reproché de faire ombrage aux victimes. Tu l'aurais fait autrement avec le recul?

Oui. Je savais que quelque chose se tramait avec Gilbert, mais je ne savais pas quand et si ça allait sortir. Je voulais montrer ma solidarité avec les femmes qui l'avaient dénoncé sur Facebook, mais je ne m'attendais pas à ça. C'est devenu une nouvelle malgré moi quand Gilbert a démissionné. J'ai parlé à quelques victimes qui n'étaient pas vexées, mais c'est une tempête que j'éviterais si c'était à refaire. Je n'aime tellement pas ce genre d'attention-là. Chaque fois que je dis quelque chose, les gens pensent que je veux me mettre en lumière. Je n'ai pas d'emprise sur ce que les gens pensent. C'est plus facile de contrôler le message quand je suis sur scène. En spectacle, c'est rare que je me sens incompris. Avec les réseaux sociaux, tout le temps!

Certains s'inquiètent de la disparition possible d'un fleuron québécois comme Juste pour rire et du déménagement des activités de Just For Laughs à Toronto. Tu en penses quoi?

Je trouve ça dommage comme bien des gens, mais, en même temps, c'est la conséquence des actes de Gilbert. Juste pour rire avait commencé à avoir fait son temps aussi. Dans les années 80 et 90, c'était très fort. Mais ce n'était plus aussi incontournable. Même du côté anglophone, qui présentait plus de choses intéressantes. C'est très dommage pour Bruce Hills, cela dit, qui dirigeait vraiment tout ça bien plus que Gilbert Rozon.

Dr. Mobilo n'a pas les mêmes ambitions de domination mondiale?

Non! On ne veut même pas dominer Montréal! On s'adresse à un public plus niché. C'est une convention, l'humour. Il y a un lien de confiance à ne pas briser avec son public. Je comprends ce que Guy Nantel veut préserver, je comprends sa défense, mais il faut qu'il entretienne le lien de confiance avec les gens. Si ton public rit en se disant: «Ha, ha! Moi aussi, je suis raciste!», tu viens de briser une convention. Ça peut déraper même si tu as de bonnes intentions. Aujourd'hui, je ne ferais plus la moitié des gags de mon premier spectacle, dont celui sur Marie-Élaine Thibert. Je ne l'assumerais plus. Les temps changent, et ils changent extrêmement rapidement. Il faut être à l'écoute de ça parce que tu peux devenir mononcle assez rapidement et faire bien des dommages.