«Il vient roder son spectacle en France», lance Micheline Sarrazin, l'agente de Fred Pellerin, dans le lobby de l'appart-hôtel de Montmartre voisin où le conteur québécois vit ces jours-ci.

Cette blague a un fond de vérité. S'il est vrai que Pellerin a donné récemment six représentations de son nouveau spectacle Un village en trois dés en Abitibi après l'avoir testé à Saint-Eustache et Drummondville, c'est au Théâtre de l'Atelier, à Montmartre, qu'il s'est installé mercredi dernier pour cinq semaines, et 25 spectacles, avant sa grande rentrée montréalaise qui aura lieu le 30 novembre au Théâtre Maisonneuve.

Pourquoi «casser» un show à Paris? Pas le choix, répond le conteur qui a ses habitudes au Théâtre de l'Atelier. Comment pouvait-il autrement y caler des dates quand, au Québec, il en est déjà à planifier pour la saison 2019-2020 les représentations de ce nouveau spectacle?

«J'ai ouvert ma grand-gueule et j'ai dit "On va vous le faire avant" même si la tournée part dans un mois dans la vraie vie, raconte Pellerin. Finalement, ça s'est ajouté en amont. Juste avant, j'ai donné deux spectacles en région, à Noyon et à Fontenay-aux-Roses.»

Laboratoire français

Fred Pellerin n'est pas un inconnu à Paris, où il s'installe pendant au moins un mois tous les trois ou quatre ans. Étonnamment, la France lui sert également de laboratoire.

«Je viens ici quatre ou cinq fois par année, même entre mes tournées, dit-il. En mai dernier, je donnais mon spectacle De peigne et de misère, j'enlevais un bloc dans le Peigne et je mettais un 15 minutes de nouveau stock. J'ai fait la même chose en mars dernier dans les Antilles lors de la Semaine de la francophonie.»

Il profite également de son séjour à Paris pour recruter des spectateurs parmi les résidants de Montmartre.

«La dernière fois que je m'étais installé ici pendant un mois et demi, j'avais dit à la production que d'ici la fin du mois, tous mes voisins de fenêtre allaient venir voir le show. En France, ça ne se fait pas, on me disait "Niaise pas, tu vas avoir l'air d'un dérangé..." Donc, j'ai commencé mon travail de voisinage doucement, et ça s'est étendu à Montmartre, qui est un village. C'est drôle parce que je reviens trois ou quatre ans plus tard et j'en revois qui me disent: "Vous êtes revenu ? On vous attendait, on a vu l'affiche." C'est le fun, je carbure à ça.»

Lancer la rumeur

À vue de nez, le théâtre de 563 places était occupé aux deux tiers jeudi dernier, le lendemain de la première parisienne.

«Ici, on joue une semaine ou deux, ça lance la rumeur, ça part les moulins, les critiques vont tomber la semaine prochaine et après on va fuller, dit Pellerin. La dernière fois, on a eu une critique dans Le Canard enchaîné et ils ont triplé [les ventes de billets].»

Le public français, parmi lequel s'étaient glissés quelques spectateurs québécois de tous les âges, applaudissait et riait de bon coeur de l'imagination fertile et des entourloupettes langagières de Pellerin, certains lui lançant même des bravos.

Un village en trois dés est un flash-back qui remonte à la naissance de Saint-Élie-de-Caxton, le 12 avril 1865. «Je pose la question sous forme de conte: qu'est-ce qui fait que des particules individuelles deviennent un jour un tout?», explique Pellerin.

Il nous présente la postière Alice, surnommée «Aliche», qui, en plus d'être experte dans l'art de lécher les enveloppes, s'emploie à réconforter tous ceux du village qui ont vécu des deuils. Défilent tour à tour la veuve rousse aux innombrables vaches pour qui le réconfort prend un tout autre sens, le curé neuf qui refuse de jouer aux dés, madame Gélinas et ses nombreux enfants, et même la Belle Lurette, morte dans le premier spectacle du conteur mais jamais tout à fait disparue.

Pellerin annonce à son public complice que désormais il ne donne plus dans le conte mais dans la conférence. «J'ai fait des recherches», répète-t-il constamment avec tout le sérieux que vous devinez.

Ces recherches l'amènent à parler d'érection canonique. «Je ne suis pas sûr que vous utilisez ce terme-là», lance-t-il au public parisien qui croule de rire.

«C'est comme si on a tous le même arc-en-ciel, mais les couleurs ne sont pas à la même place. Quand [les Français] rient et que je ne trouve pas ça drôle, j'essaie de comprendre pourquoi.»

Les petits crochets

À l'occasion, Fred Pellerin lance quelques «petits crochets» aux spectateurs, mais jamais on ne sent de sa part un effort particulier pour adapter son propos, son vocabulaire ou son accent.

«Le forgeron sacre, je ne vais pas dire qu'il jure. Donc, je leur explique le décalage: "Ici, vous jurez, nous autres, on jure pas, on sacre. Vous invoquez ce qui pue, nous, on parle du mobilier ecclésiastique." J'ai des petits trucs comme ça. Au Québec, les 473 enfants de la madame Gélinas sont tous inscrits au hockey mineur. Hier, je les ai inscrits aux leçons de piano. Je vais voir si je garde ça, mais ils ne sont pas obligés d'être inscrits. Il y a des affaires que je peux sacrifier sans adapter.»

Comme il ne dispose que de 80 minutes avant que les techniciens n'installent le décor de la pièce qui va être jouée tout de suite après au Théâtre de l'Atelier, Pellerin a dû retrancher un conte de son spectacle, celui du gros Charles, le ventriloque. Un «petit deuil», reconnaît-il.

«Le gros Charles, dans un mois, je le rattrape », se console Pellerin en songeant à sa rentrée québécoise. Mais comme à Paris, il donnera pour la première fois un spectacle sans entracte au Québec: « Dans un show, le moment le plus dur, c'est après l'entracte quand tu dois redécoller ton monde.»

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Au Théâtre Maisonneuve dès le 30 novembre et au Grand Théâtre de Québec à compter du 19 décembre. Supplémentaires et tournée du Québec en 2018.

Photo Martin Chamberland, Archives La Presse

Après son séjour à Paris, Fred Pellerin sera de retour à Montréal pour présenter Un village en trois dés, dès le 30 novembre.