Chanter à Broadway sur la guerre en Irak, l'idée n'avait rien d'évident, mais en choisissant l'angle du renseignement, des auteurs ont relevé le défi et envoyé, au passage, un message à l'administration Trump.

Baghdaddy entame son parcours lundi sur le circuit «Off-Broadway» (celui des productions plus modestes) et évoque l'histoire vraie d'un transfuge irakien, dont les allégations concernant l'arsenal irakien ont servi de justification à l'administration Bush pour envahir l'Irak en 2003.

«Si vous mettiez Hamilton (comédie musicale la plus prisée du moment) et The Office (série télévisée humoristique sur le monde du travail) dans un mixer, vous obtiendriez ce spectacle», explique le producteur Charlie Fink.

Tout tourne autour du monde du renseignement et de cet Irakien qui, en échange de l'asile politique, propose à l'Allemagne des informations confidentielles sur un programme d'armement supposé du régime de Saddam Hussein.

Les Allemands consultent la CIA, au sein de laquelle des agents, poussés par l'ambition, les rivalités internes et des responsables intransigeants voient dans Curveball, le nom de code de l'opération, l'opportunité de sortir du lot.

À l'arrivée, une guerre, qui a causé la mort de plus de 4500 soldats depuis 2003 et d'au moins 173 000 civils, certaines estimations allant jusqu'à près d'un demi-million. Quatorze ans après, l'Irak reste une zone de conflit.

Et si le spectacle se veut humoristique, la guerre en elle-même n'est jamais sujet de plaisanterie.

«Notre responsabilité commune»

Le rythme de la pièce est haletant, avec une bande originale nerveuse qui intègre des morceaux rappés, à la manière du désormais légendaire Hamilton, qui a révolutionné la comédie musicale.

En éclairant d'une lumière crue les mécanismes qui ont entraîné une guerre sur la base d'informations jamais vérifiées, les auteurs veulent éviter que l'histoire ne se répète.

L'élection de Donald Trump a rendu le propos plus actuel que jamais avec, en toile de fond, la menace d'un conflit armé avec la Syrie ou la Corée du Nord.

«Il y a une urgence qui n'existait pas en 2015 (date où la pièce a commencé à être jouée) et l'impression que nous repartons sur la même voie», estime Charlie Fink, un touche-à-tout qui a notamment travaillé, lors de son passage chez Disney, sur les films animés Le roi lion, Aladdin et La belle et la bête.

«J'ai l'impression de vivre une époque dans laquelle les règles sont réécrites et les autorités agissent à l'instinct, plutôt que d'écouter les faits et les analyses», s'inquiète le producteur. «Et ça fait peur.»

Le premier soir des avant-premières de Baghdaddy, le 6 avril, a correspondu avec le bombardement américain d'une base aérienne syrienne.

La comédie musicale est une petite production, loin de la dizaine de poids lourds de Broadway, jouée jusqu'au 18 juin au St. Luke's Theatre, situé dans un sous-sol de Manhattan, à deux pas de Times Square.

Il aura fallu dix ans pour monter la pièce, avec seulement huit acteurs sur scène et six rôles principaux.

Elle montre que les responsabilités de ce conflit initié sur la foi d'un mensonge, qui n'est pas sans évoquer les fausses informations ou «fake news» si présentes aujourd'hui dans le débat, ne sont pas le seul fait du président George Bush.

«Nous avons tous foiré», estime Marshall Pailet, metteur en scène, coauteur et compositeur de Baghdaddy, pour qui les États-Unis tout entier sont responsables, de même que leurs alliés.

«C'est notre responsabilité commune», estime Charlie Fink. «Une blessure au monde qui ne disparaîtra pas avec des larmes ou des rires.»

Il revendique le ton humoristique de la pièce, qui permet d'«ouvrir les esprits et les coeurs. Nous pouvons alors amener du fond, de la personnalité et un message.»