Directrice de l'École nationale de l'humour depuis sa création en 1988, Louise Richer recevra, demain à Ottawa, l'Ordre du Canada. Plus qu'une récompense personnelle, elle voit dans ce geste du gouverneur général un pas vers la reconnaissance de l'humour comme un art à part entière.

«S'il n'y avait pas Louise Richer, il n'y aurait pas d'École nationale de l'humour», avait lancé François Morency il y a deux ans, lors des 25 ans de l'ENH. Et s'il n'y avait pas d'ENH, où en serait l'industrie de l'humour aujourd'hui? pourrait-on ajouter. Une industrie de l'humour qui va bien au Québec, qui vend beaucoup de billets de spectacle, qui exporte et qui rapporte beaucoup à la société québécoise, si l'on considère notamment la popularité du festival Juste pour rire, ici comme ailleurs.

C'est donc «pour sa contribution à l'épanouissement et à la diffusion des arts du spectacle en tant que directrice de l'École nationale de l'humour» que Louise Richer recevra, demain, l'insigne de l'Ordre du Canada des mains du gouverneur général David Johnston. Une décision prise l'été dernier, pendant le règne du gouvernement de Stephen Harper. 

«J'ai été étonnée et touchée par cette distinction, dit Louise Richer, en entrevue dans son bureau de la rue Sherbrooke Est. Surtout quand on repense à l'épopée qu'a représentée la création de l'école.» 

«Il y a eu des vents contraires, et ç'a été toute une traversée avant que [l'École nationale de l'humour] ne récolte sa légitimité et ait fait la démonstration de sa pertinence.»

Louise Richer rappelle que la seule école nationale de l'humour existant sur la planète a été parfois décriée et jugée inutile. «Quand on avait coupé le programme de musique de l'école Pierre-Laporte [en 2004], on nous avait reproché d'avoir eu un montant similaire, soit 656 381 $ étalés sur 10 ans, dit-elle. Les gens avaient fait le lien alors que l'argent venait du ministère de la Culture. Et certains journalistes avaient dit: "on coupe Pierre-Laporte et on donne l'argent à une école de bouffons"...» 

Reconnaître la discipline

La directrice a dû se battre pour défendre la crédibilité de l'ENH, une bataille qui n'est pas finie puisque l'humour n'est pas encore, selon elle, totalement considéré comme une discipline artistique. 

Il y a sept ans, l'École nationale de l'humour a entrepris de faire reconnaître l'humour comme un art à part entière de la part du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Même si les humoristes québécois sont parmi les artistes les plus populaires dans la province, l'humour n'a pas droit aux mêmes avantages en matière d'aide ou de subventions à l'écriture de création que le cinéma, le théâtre, la danse, la chanson ou les arts visuels, avait expliqué Louise Richer à La Presse il y a trois ans. Des initiatives pour changer cet état de fait ont été tentées par l'ENH, mais les changements successifs à la tête du CALQ n'ont pas permis encore d'aboutir à des résultats significatifs. Et les choses se compliquent, car l'humour dépend aussi de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) dès que se profile le producteur derrière l'humoriste.

«L'humour n'est pas reconnu non plus au Conseil des arts du Canada. J'espère que cela va changer. Au niveau fédéral, nous ne sommes soutenus que par Patrimoine Canada pour le fonctionnement de nos opérations.»

Louise Richer demeure optimiste et croit que les choses vont bouger. La présence de Simon Brault à la tête du Conseil des arts du Canada (CAC) et l'arrivée d'Anne-Marie Jean à la présidence du CALQ l'encouragent. «Les personnes en place ont l'ouverture souhaitée, dit-elle. Cette récompense est un symbole et un indicateur. Comme un écho de l'évolution des perceptions. Mais je suis encore en démarche de valorisation de l'humour comme discipline artistique et comme contribuant au patrimoine culturel, au même titre que les autres arts.»

Récemment, l'École a participé à un colloque sur le thème de l'humour en art contemporain, à l'invitation du Musée d'art contemporain de Montréal. «C'était un décloisonnement intéressant, dit-elle. Le milieu de l'art contemporain a été étonné de la richesse de cette rencontre entre l'art contemporain et l'humour. Il faut que les arts se parlent. L'humour a été regardé de haut, mais en allant à la rencontre des arts jugés plus élitistes, on se rend compte qu'aujourd'hui, le mouvement se fait vraiment des deux côtés. On est à l'ère de l'interdisciplinarité.»