Guillaume Wagner propose avec d'autres humoristes, dont Adib Alkhalidey et Virginie Fortin, un nouveau festival d'humour: le Dr Mobilo Aquafest, qui se tiendra du 16 au 19 mars aux théâtres Rialto et Fairmount. Discussion avec un artiste qui n'a pas la langue dans sa poche.

Marc Cassivi: Est-ce que le Québec a besoin d'un autre festival d'humour?

Guillaume Wagner: Le Québec a besoin d'un festival d'humour différent! Je n'ai rien contre Juste pour rire, mais il y a seulement un certain type d'humour qui semble y cadrer. Pas les numéros plus longs à installer, qui n'ont pas un punch aux 30 secondes. Ce qu'on propose, c'est un humour plus niché et plus pointu et une tribune pour des humoristes moins connus. On voulait leur faire une place, tout s'offrant un nouveau terrain de jeu, nous aussi.

Marc Cassivi: Quelles ambitions avez-vous pour votre festival?

Guillaume Wagner: On ne veut pas se limiter à l'humour. On veut développer un volet anglo, un volet musical et même théâtral. Ça ratisse large. C'est pour ça qu'on a choisi un nom aussi loufoque. C'est un festival alternatif.

Marc Cassivi: Quand tu parles d'humour plus niché, tu fais référence à quoi?

Guillaume Wagner: L'humour change. Les festivals d'humour sont restés coincés dans une autre époque. Ils ont été formatés pour la télé des années 90 et rien n'a bougé depuis. Je connais beaucoup de gens d'autres sphères, des gens intéressants, intelligents, cultivés, qui aiment l'humour américain et britannique, mais qui ne connaissent pas bien ce qui se fait au Québec. Ils connaissent seulement ce que l'on présente le plus: de l'humour avec des gros jingles et des faces sourire. J'avais envie de leur faire découvrir autre chose. Il y a toutes sortes d'humours au Québec: de l'humour plus punk, plus psychédélique...

Marc Cassivi: Mais Juste pour rire a déjà un volet «off» [le Zoofest]...

Guillaume Wagner: C'est un «off» qui fait partie de Juste pour rire! C'est un peu absurde. Ce n'est pas un vrai festival alternatif. Et ce n'est pas un festival pour les artistes. Je trouve qu'il y a là un peu d'exploitation de la relève. On voulait offrir des cachets décents, dans un esprit de coopérative. Notre festival, c'est un festival par les artistes, pour les artistes.

Marc Cassivi: On comprend l'éventail de genres de votre événement en voyant que les têtes d'affiche, c'est Adib et toi. Vous me semblez être aux antipodes l'un de l'autre...

Guillaume Wagner: On est d'accord sur bien des sujets, même si on est très différents et qu'on ne présente pas les choses de la même manière.

Marc Cassivi: Adib se présente lui-même comme quelqu'un de candide, alors que toi, t'es plutôt hyper lucide...

Guillaume Wagner: On a la même envie de réhabiliter l'humour comme forme d'art. J'ai l'impression que l'humour n'est pas respecté au Québec, et tu sais quoi? Je pense que c'est avec raison. L'humour n'est pas toujours défendu de manière intellectuellement crédible. C'est souvent nono ou fait dans le but évident de faire de l'argent facile. L'humour, c'est un art libre pour lequel j'ai le plus grand respect. C'est un art qui permet une très grande liberté dans la prise de parole. Moi, il n'y a pas d'avocat qui repasse sur mes textes ou qui checke mes numéros.

Marc Cassivi: Parlant d'avocats, as-tu peur des conséquences de la décision du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Mike Ward?

Guillaume Wagner: Je n'ai pas trop de craintes pour l'avenir. En même temps, je n'ai pas trop suivi le procès, donc c'est difficile pour moi de me prononcer. Je ne crois pas que c'est une cause qui fait avancer quoi que ce soit. Moi, le gag de Mike sur le petit Jérémy, je le «backerais». Je comprends ce qu'il veut dire et ce qu'il dénonce. Mais je trouve ça facile pour les humoristes d'affirmer qu'on peut dire tout ce qu'on veut. On veut jouer avec les limites, mais c'est possible qu'on les dépasse. Il faut assumer nos responsabilités. Il y a une réflexion morale à avoir, mais je ne crois pas que c'est au tribunal de décider.

Marc Cassivi: Quel genre de compromis fais-tu pour ne pas dépasser les limites?

Guillaume Wagner: Je n'ai jamais vraiment fait de compromis. J'ai fait mes numéros tels quels à Juste pour rire, et ça marche moins bien. Ce n'est pas le même public. Dans les festivals, on est plus habitué à un humour aseptisé qui ne dit rien. Aussitôt que tu dis quelque chose, ça crée un malaise. Moi, j'aime «confronter» le public. J'aime aller à la rencontre de gens qui ne pensent pas comme moi. Je veux leur faire vivre une émotion.

Marc Cassivi: Des humoristes avouent en privé qu'ils mettent de l'eau dans leur vin pour ne pas s'aliéner un public plus large. Ils ne le disent pas publiquement, mais ils rêvent d'avoir un jour assez de liberté pour ne plus avoir à s'autocensurer...

Guillaume Wagner: Je coanime un gala Juste pour rire avec Guy Nantel. J'ai vu des humoristes en audition, que je connais bien, et je constate qu'ils adoucissent leur matériel pour qu'il passe mieux. Voir des humoristes se conformer, je trouve ça dommage. Il faudrait qu'ils sentent qu'on leur laisse la liberté nécessaire pour qu'ils s'épanouissent et qu'ils aient envie d'aller plus loin. C'est sûr qu'avec un numéro de sept minutes qui doit puncher aux 30 secondes, il y a un risque inévitable de se mettre le pied dans la bouche. On n'a pas le temps de mettre les choses en place.

Marc Cassivi: Est-ce que l'humour est victime de son succès populaire?

Guillaume Wagner: Oui, je crois. C'est délicat à dire, mais, au Québec, les gens sont convaincus de connaître l'humour, d'être très éduqués en matière d'humour. Ce n'est pas parce que tu as vu Jean-Michel Anctil et Lise Dion en spectacle que tu as tout vu. Le public vient parfois nous voir avec une certaine arrogance. On nous regarde et on dit: «Fais-moi rire!» On ne sent pas qu'il y a une si grande ouverture. Mais ça, c'est le grand public. Il y a aussi un autre public qui veut découvrir de nouveaux types d'humour et qui aime prendre des risques. C'est ce public-là qu'on vise avec le festival.

Marc Cassivi: Que proposez-vous de si différent? Ce que tu vas faire, c'est autre chose que ton nouveau spectacle (Trop humain)?

Guillaume Wagner: Oui. Je fais une heure complètement différente. Il y a aussi Charles Beauchesne qui fait un numéro complet sur la peste noire pendant une heure. Ce n'est pas grand public, mais c'est très drôle et instructif. Ça va très loin et ça ne cadre pas dans un événement qui existe déjà. Je ne voudrais pas qu'il change parce qu'il n'a pas de tribune. Ce sont des gens comme ça qu'on a envie de mettre en valeur. C'est un événement au style libre. C'est très anarchique. D'habitude, dans un gala, l'humoriste le plus connu passe à la fin. C'est très hiérarchisé. Dans notre gala, on va pouvoir revenir quand on veut sur scène, à tout moment, pour le temps qu'on veut. On va voir ce que ça va donner. Si le public est bon, on va peut-être faire un spectacle de trois heures...