Il y en a qui naissent avec peu de mots, qui s'expriment parcimonieusement, qui préfèrent garder leurs pensées pour eux, quand ils ne se réfugient pas carrément dans le silence. Et puis il y a les moulins à paroles, ces verbomoteurs invétérés, ces incontinents du verbe, qui ne savent pas se taire, pour qui le silence est un gouffre angoissant, un puits sans fond qu'ils cherchent éperdument à remplir.

L'humoriste Mariana Mazza, 25 ans, appartient à leur clan. D'aussi loin qu'elle se souvienne, la petite Mariana parlait d'abondance, avait toujours quelque chose à dire, et même quand elle n'avait rien à dire, elle le disait quand même.

«Je pense que j'ai commencé à parler dans le ventre de ma mère», me lance-t-elle au milieu de la cafétéria de La Presse, où elle est arrivée en retard, affamée, une boule d'énergie prête à exploser à tout bout de champ. Mais gentiment. Sans la moindre parcelle de méchanceté, d'hostilité ou d'acrimonie.

Elle défait son blouson et découvre ses bras nus recouverts de tatouages joliment fleuris et presque trop féminins pour une fille qui fait plus garçon manqué que jeune première.

J'ai l'impression de la connaître, mais, dans les faits, je ne sais rien d'elle, sinon qu'elle lance son tout premier one-woman show avec des thèmes comme la masturbation, la fellation, les femmes, le féminisme et la vie de Mariana Mazza.

Le spectacle, qui débutera le printemps prochain, porte le titre explosif (vulgaire, diront certains) de Femme ta gueule, un titre qui vient avec son lot d'ambiguïtés.

«Je suis à une virgule du scandale, explique Mariana en croquant dans la pomme que lui a offerte un des agents de sécurité de La Presse. Si j'avais mis une virgule entre "Femme" et "ta gueule", ç'aurait été clair que je disais aux femmes de fermer leur gueule, ce qui est l'absolu contraire de ce que je veux dire. En fait, l'idée vient d'une copine qui, un jour, m'a lancé: "Ta gueule quand tu parles." J'ai trouvé ça très drôle. Pour le reste, c'est vrai que je parle beaucoup. Combien de fois il m'est arrivé de faire pipi dans mes culottes parce que je n'étais pas capable d'arrêter de parler pour aller pisser... Cela dit, il y a une grande différence entre parler dans la vie et le faire sur un stage

Humoriste avant tout

«Être une femme et prendre la parole sur un stage, laissez-moi vous dire que c'est un estie de gros statement

Surtout de la part d'une fille d'immigrante, mi-libanaise, mi-uruguayenne, qui a grandi à Montréal-Nord, qui n'a pas fait l'École de l'humour et qui a abandonné ses études en animation et recherche culturelle à l'Université du Québec à Montréal à trois mois de la fin de son bac pour se lancer corps et âme dans le métier d'humoriste.

L'étiquette d'humoriste, Mariana y tient comme à la prunelle de ses yeux. «Je suis une artiste de la scène, une humoriste à part entière, avant d'être une comédienne ou une fille qui fait de la télé. Moi, c'est sur la scène que ça se passe et, après la tournée que je viens de faire avec Virginie Fortin, après mes débuts à l'Olympia en première partie de Messmer devant du monde qui se crissait de moi, après les galas Juste pour rire et mon numéro pour Lac-Mégantic au Centre Bell, la scène, je commence à connaître ça! Je ne suis pas encore la meilleure, mais ça s'en vient!»

Il n'en fut pas toujours ainsi. Pendant huit ans, dans les limbes entre l'enfance et l'adolescence, Mariana a joué au soccer avec passion.

«À 14 ans, je me trouvais dégueu, j'avais des boutons plein la face, je me réfugiais dans le soccer. Sauf que j'ai vite compris que ça ne menait à rien. Comme j'étais dans une équipe de filles, ça ne comptait pas, on n'avait pas de budget, pas de bonnes conditions. Quand je me suis blessée au genou, j'ai décidé de tout lâcher.»

Mère monoparentale

Mariana insiste beaucoup sur son enfance à Montréal-Nord et sur le fait que sa mère, Sonia Merhe, une Libanaise qui a fui un mariage arrangé au Liban pour épouser un musicien bohème et alcoolo en Uruguay, l'a élevée seule.

«Je n'ai pas connu mon père. J'ai été élevée par une mère qui faisait quatre jobs en même temps et par mon frère. J'ai grandi dans le hood et dans les clubs sociaux argentins. Fredy Villanueva, je le connaissais bien. Son grand frère a même été mon cavalier à la fête de mes 15 ans. À un moment, Montréal-Nord, c'était rendu pire que le Bronx. Plus maintenant, mais à une époque, c'était épeurant», aime-t-elle raconter.

Mais  quand on la pousse un peu, on découvre qu'à partir de l'âge de 12 ans, François Pilon, un fonctionnaire de la Ville de Laval qui a été élu sous la bannière du Nouveau Parti démocratique en 2011, s'est mis en ménage avec sa mère, devenant d'office son beau-père et, à voir sa photo, sans doute un brave et bon papa gâteau qui a dû adoucir l'âpreté de ses premières années.

Mariana a fait son secondaire à Calixa-Lavallée, son cégep en politique internationale à Marie-Victorin. Elle raconte qu'entre le cégep et l'université, elle est partie enseigner le français trois mois en Inde à des moines tibétains, qu'elle a fait un stage en Vendée avec des enfants autistes, qu'elle a fait de la radio, de la peinture et de la danse. C'est dit dans une telle précipitation et avec si peu de détails qu'on ne sait pas si on doit la croire ou non. Mais qu'importe! La fille est tellement vive, amusante, énergique, épuisante, qu'on finit par se ficher un peu de la véracité de ce qu'elle raconte. Tout un numéro que cette Mariana!

Faire une différence

En même temps, elle insiste beaucoup, lourdement, pour signaler qu'elle n'est pas juste une tête brûlée ni une hyperactive en manque de Ritalin. Elle veut qu'on sache qu'elle ne fait pas de l'humour pour faire du cash ou juste pour divertir.

«Je veux faire une différence. Je veux changer les choses. Je fais de l'humour pour me libérer et pour faire entendre ma voix. Celle d'une fille d'immigrants, qui parle quatre langues, qui a voyagé et vécu la vie d'une femme de 38 ans. Je sais que je ne ferai jamais l'unanimité, que je ne serai jamais le chouchou, mais ça ne me dérange pas.»

«Je ne veux pas être aimée de tout le monde. Ce n'est pas mon but. Mon but, ce n'est pas non plus de provoquer. C'est de te réveiller et de te faire réfléchir.»

Dans son désir impétueux de remplir tous les interstices de la conversation et de se raconter, elle cite pêle-mêle Simone de Beauvoir, Frida Kahlo, Virginia Woolf, Dalida, Joe Dassin, Denise Bombardier - sa bonne amie avec qui elle dîne parfois -, Michel Sigouin et Simon Delisle qui éditent et corrigent les textes qu'elle écrit pour son spectacle, Mike Ward - son ami vulgaire et méchant à qui elle pardonne tout -, Wassim et Mohammed, ses deux demi-frères qui vivent à Dubaï et qu'elle va rejoindre au Nouvel An, et enfin Jean-Marc Parent, le plus grand humoriste de tous les temps, selon elle. Pourquoi si grand? Voyons, c'est évident. Parce que Jean-Marc Parent est le seul humoriste capable de parler sans répit sur une scène pendant six heures. Rien que pour cela, la volubile humoriste lui voue une admiration sans bornes.

Un dernier mot avant de conclure, Mariana? Elle me regarde dans le blanc des yeux, sérieuse comme une jeune papesse, son regard ardent et convaincu: «Les gens diront ce qu'ils voudront, mais je ne la fermerai jamais, ma gueule. Jamais.»

Voilà, c'est dit. Inutile d'en rajouter.