Sa série Les beaux malaises a connu un énorme succès. Mais Martin Matte laisse entendre que la troisième saison de cette comédie, diffusée l'hiver prochain à TVA, sera peut-être la dernière. Retour sur un phénomène, à quelques heures du gala Les Olivier, où l'humoriste est finaliste pour l'Olivier de l'année et Les beaux malaises, pour la meilleure comédie à la télévision.

J'ai suivi ton émission du premier au dernier épisode. Mais je les ai regardés en bloc, alors je ne suis pas sûr d'être comptabilisé dans les cotes d'écoute...

On a une moyenne de 2 millions pile dans les sept jours suivant la diffusion. Ce qui est quand même capoté. Ça fait 20 ans que je fais ce métier. Quand j'ai commencé - ma première télé à vie a été Besoin d'amour, un talk-show animé par Guy A. Lepage -, je sortais de l'École de l'humour et je pensais naïvement que j'étais connu. J'ai eu de gros succès avec mes spectacles, mais je n'ai jamais connu ça. Deux millions de téléspectateurs, avec une masse d'impact comme ça, chaque semaine, c'est phénoménal.

C'est étonnant de ratisser aussi large avec un humour qui peut être très grinçant, non?

Il y a quelque chose là-dedans qui est difficile à expliquer. Il y a des dames qui me parlent des scènes qu'elles n'aiment pas. J'ai plusieurs plaintes quand je sacre. Le personnage de Patrice Robitaille qui se branle dans mon salon, ça ne passe pas. L'art - parce qu'à un moment donné, tu acceptes que c'est de l'art que tu fais, peu importe que ce soit de la musique, de la peinture ou de la télé -, ça brasse, des fois.

Je trouve ça rassurant qu'autant de gens acceptent et adoptent un propos qui n'a pas été édulcoré pour rejoindre le plus grand nombre possible.

C'est sans doute une évidence, mais tu ne peux pas être heavy, violent ou vulgaire juste pour être heavy, violent ou vulgaire. J'ai fait une émission sur les pauvres. Je trouvais que c'était plein de tendresse, même si c'était cru et vulgaire. On a tourné dans Hochelaga et ça criait dans la ruelle des phrases que j'aurais pu mettre dans l'épisode. On travaille beaucoup les textes. Je peux envoyer cinq ou six versions à François Avard [son coscénariste]. Je pense que ça fait partie de notre succès.

Je m'intéresse à la façon dont ton personnage dans Les beaux malaises se distingue du personnage prétentieux de tes spectacles. Tu avais fait le tour du personnage de prétentieux?

Je me suis fait demander pendant 10 ans combien de temps je le tiendrais. Quand on écrit, on n'a pas de plan pour ça. En écrivant mon deuxième show, Avard trouvait que je ne me vantais pas assez. J'en ai mis une couche de plus dans le délire. J'avais beaucoup de plaisir à le faire. Mais j'étais un peu tanné de le soutenir médiatiquement. Je n'étais plus capable de répondre à: «Tu fais le Centre Bell, ça doit être petit pour toi?» La prétention, je l'ai encore comme ingrédient. Ça prend une confiance inébranlable pour monter sur scène devant 2000 personnes, alors ça fait partie de moi. Sans doute pour compenser le doute énorme qui m'habite. C'est paradoxal. Mais il y a aussi un côté de moi qui est vulnérable, de mauvaise foi, manipulateur, que j'ai grossi pour faire rire dans Les beaux malaises. Et ça a marché!

Tu es passé de la prétention à l'autodérision...

Oui. Et c'est pas tout le temps beau! Des fois, je relisais les textes et j'avais de petites craintes. Mais tout ça fait partie de moi, comme se vanter fait partie de moi. À l'École de l'humour, j'avais testé le numéro du vantard et on m'avait dit que ça ne passait pas. Les autres peuvent dire que tu es bon, mais si ça vient de toi, tu es automatiquement antipathique. Quand on me dit «fais pas ça», ça me donne envie de le faire... J'ai décidé de ne pas prendre les gens pour des caves; d'assumer qu'ils comprennent, qu'ils sont intelligents et qu'ils voient le deuxième degré.

L'audace des Beaux malaises, pour moi, c'est de mettre en scène ton rapport avec ton public, que tu ne présentes pas non plus sous son meilleur jour. C'est délicat pour toi?

Ce l'est! Je n'y pense pas. Ta question me trouble un peu. C'est vrai qu'une blague qui ne repose pas sur une vérité n'a pas le même impact. Encore une fois, je fais confiance au jugement des gens. Quand c'est authentique, ça passe mieux, peut-être? C'est une bonne question. La grande majorité des gens est gentille et respectueuse, mais c'est plus drôle de parler du tapon qui crie ton nom au bar ou de l'autre côté du restaurant. Ou de la dame qui te demande si t'as acheté la paire d'Adidas gris que t'as essayée au magasin où sa cousine est vendeuse. Il y a cinq ans, on ne vivait pas ça, mais, maintenant, tout le monde veut prendre une photo avec toi ou te présenter sa mère en direct sur Facetime. C'est quelque chose.

C'est fort, l'effet de la télévision...

Très fort. J'ai laissé entendre que la troisième saison des Beaux malaises serait peut-être la dernière, parce que j'ai envie de refaire de la scène. Il y en aura peut-être une quatrième, je ne sais pas. Les gens me disent: «Franchement! C'est pas vrai? Tu vas pas lâcher un succès comme ça pour aller faire des shows?!» Comme si ça n'avait aucune valeur! On a plus de moyens en télévision, mais arriver sur scène juste avec un micro, je trouve ça encore plus noble. C'est un sport olympique. Tout le monde peut raconter une joke, mais il y a très peu de gens qui peuvent faire passer une soirée magique aux gens juste avec un micro. Pour les gens, tout est plus gros à la télé. Le soir de la diffusion, il peut y avoir jusqu'à 7000 messages sur ma page Facebook. C'est troublant.

Une partie du succès de l'émission vient peut-être du fait que les gens ont l'impression d'une incursion dans ta vie privée?

Ça, c'est sûr. Il y a des gens qui veulent y croire. Au moins, je suis passé à une autre étape par rapport à ma famille. Les gens savent que c'est une fiction. La première saison, ce n'était pas toujours clair pour tout le monde. J'ai voulu qu'on y croie comme si c'était une téléréalité. Je voulais une belle maison dans l'émission, parce que j'ai une belle maison dans la vie. Certains m'ont dit: «Oui, mais au Québec, c'est pas bien vu.» Je m'en fous! Il n'y a rien de mal à bien gagner sa vie.

Comment fait-on pour ne pas s'enfler la tête avec un succès comme celui-là?

Pour moi, c'est déjà fait! Ça me surprend, cette question-là. Je doute beaucoup trop pour m'enfler la tête. Je ne suis pas cave: je sais que ça marche bien. Mais c'est tellement fragile. J'ai un drôle de rapport à ça, les nominations, les prix, tout ça. C'est évident que ça fait plaisir, mais, après 20 ans de carrière, tu vois les mécanismes, les paradoxes. Ça ne marche pas toujours, la logique des galas. Je ne comprends pas qui est nommé pour l'Olivier de l'année. Je ne comprends pas. Les beaux malaises n'était pas là l'an dernier. On est là cette année. C'est difficile à suivre. Au début de ma carrière, c'était très important pour moi, tout ça. Maintenant, moins... On se demandait au début s'il allait manquer de spectacles pour un gala consacré seulement à l'humour. Avec le recul, je pense que oui. C'est beaucoup, un gala d'humour chaque année.

(Un client s'approche de notre table) Bonjour, Monsieur le p'tit malaise! Vous savez qu'on est quelques-uns à vous regarder de manière bizarre depuis tout à l'heure?

Martin Matte: C'est fascinant...