En entrevue, Gilles Latulippe s'exprimait dans un français châtié à mille lieues parfois dee celui des personnages simplistes et loufoques qu'il jouait. Il lisait sur le rire, il en mangeait et savait le transmettre. «Un clown triste est un clown mal payé», disait-il. Toute une vie dans le rire, une vie dédiée à susciter un sentiment libérateur, jouissif, noble chez ses semblables. Voici un éventail des moments de rire écrits, mis en scène et livrés par ce grand comédien en 55 ans de carrière.

1937: Naissance

Fils de quincaillier, Gilles Latulippe est né le 31 août 1937 à Montréal. Dernier de deux enfants, il a commencé très tôt à faire rire les siens. Il entre au service de Radio-Canada en 1955, où il rencontre Yvon Deschamps. Les deux comiques travailleront à La Roulotte de Paul Buissonneau, théâtre ambulant pour enfants de la Ville de Montréal.

1959: Bousille et les justes

Sa toute première pièce professionnelle. «Imaginez: Gratien Gélinas, Béatrice Picard, Juliette Huot et Jean Duceppe... pas mal pour un début! On l'a jouée beaucoup, même en anglais. La pièce a tourné partout au Canada et même aux États-Unis. La dernière a eu lieu à Seattle lors de l'exposition universelle», nous confiait Gilles Latulippe en juillet dernier.

1963: Le zoo du Capitaine Bonhomme

À la télévision, Gilles Latulippe a travaillé de 1963 à 1970 avec Michel Noël (Capitaine Bonhomme) dans cette émission jeunesse déjantée.

1965: Cré Basile

Son personnage de Symphorien apparaît dans cette série signée par Marcel Gamache, qui s'étirera jusqu'en 1970 à Télé-Métropole. Dans l'émission, il était le cousin d'Olivier Guimond, qui l'a initié au burlesque. Pour lui rendre hommage, il a donné le prénom d'Olivier à son fils né en 1972.

1968: Théâtre des Variétés

«Si les murs pouvaient parler... Il s'en est passé des choses sur la scène et dans les coulisses de ce théâtre! Il y a tellement de souvenirs ici», nous disait M. Latulippe, un brin nostalgique, en avril dernier. Sans aucune subvention, son théâtre a accueilli plus de 7000 représentations de 1967 à 2000. En son honneur, la salle s'appelle maintenant La Tulipe.

1970: Symphorien

«L'émission a duré 7 ans, mais 15 si on compte les reprises. C'était du Marcel Gamache tout craché. Il ne laissait rien passer, dans la vie. Tout se retrouvait à la télé une semaine plus tard. On passait des nuits au téléphone à échanger des idées pour Symphorien», avait confié Gilles Latulippe.

1983: Poivre et sel

«C'était une série comique, mais avec ses côtés dramatiques, nous avait dit le comédien. Je devais jouer un vieillard de 72 ans alors que j'en avais 45. Avant d'accepter le rôle, j'avais demandé son avis à Janine Sutto et elle m'avait dit de foncer.»

1987: Les démons du midi

Cette émission de variétés diffusée à l'heure du lunch a dépassé le cap des 1000 émissions, jusqu'en 1993.

2000: MetroStar

En 2000, après 33 ans d'activité, Gilles Latulippe vend le Théâtre des Variétés, qui fera long feu sous le nom de Théâtre des Nouveautés. Il est relancé en 2004 par la Compagnie Larivée Cabot Champagne sous le nom La Tulipe. Malgré cette période plus sombre, le «géant de la culture populaire québécoise» avait le sourire en mars 2000, lorsqu'il a reçu le trophée honneur au gala MetroStar.

2009: Chevalier de l'Ordre du Québec

Déjà membre de l'Ordre du Canada depuis 2004, Gilles Latulippe devient Chevalier de l'Ordre du Québec. Au même moment se tourne Cabotins, un film vaguement inspiré de sa vie et de l'aventure du burlesque québécois. Il accepte un tout petit rôle de chauffeur de taxi. «On a une bobine de 10 minutes durant laquelle Gilles raconte des blagues sans s'arrêter», a raconté l'acteur principal, Rémy Girard. C'est ce qu'on appelle rire pour vivre!

ILS, ELLES ONT DIT...

«On s'était parlé l'automne dernier et il m'avait demandé si j'étais bien sûr de mon coup en le choisissant pour le gala hommage et si je voulais une autre semaine pour y penser. Ce que j'ai fait, en jouant le jeu avec lui. Il avait alors eu cette boutade: «Donc, je dois rester en vie jusqu'en juillet prochain!» Je ne suis pas en mesure de dire s'il se savait condamné à ce moment-là. Je crois que c'était surtout le fait d'un homme qui mesurait la signification de son engagement, compte tenu de sa santé. Il respectait trop le travail des artistes pour accepter un rendez-vous qu'il n'aurait pu honorer.» - Stéphan Bureau, animateur du gala hommage de Juste pour rire à Gilles Latulippe en juillet dernier

«Dès que j'ai fait ma première émission des Démons du midi, on a eu une belle histoire d'amour ensemble. J'y suis retournée régulièrement. Je faisais une performance solo, mais on me demandait souvent de faire le sketch avec lui ensuite. C'est un de ceux qui m'a appris le plus dans le métier, avec Denise Filiatrault et Michel Courtemanche.» - Lise Dion

«Son fils Olivier m'a dit que l'hommage que nous lui avons rendu cet été lui avait fait vivre un bonheur incommensurable, et ça m'a un peu réconforté. Au-delà du maître de la comédie et de sa contribution incroyable au bonheur des Québécois, ce qui m'a le plus marqué, c'est son immense galanterie. J'ai reçu un jour une lettre manuscrite de sa part et j'ai été frappé de voir à quel point c'était un gentilhomme. » - Gilbert Rozon

«Quand j'ai su qu'il n'avait jamais participé aux Olivier, je n'en revenais pas: il a quand même bien connu Olivier Guimond et a baptisé son fils en son honneur! Alors je lui ai demandé de présenter un prix avec moi. Il est venu, mais il se demandait pourquoi il était invité. L'affection des autres générations d'humoristes le troublait. Je lui avais dit qu'il allait sûrement avoir une ovation, mais il ne me croyait pas. J'ai parié 10 $ avec lui et, effectivement, tout le monde s'est levé d'un bloc.» - François Morency

«Gilles était un comique-né. Il avait un sens de la répartie et un charisme étonnants. Il est aussi devenu un homme d'affaires en fondant son théâtre. C'est grâce à lui que le Théâtre des Variétés a survécu aussi longtemps.» - Béatrice Picard

«J'ai beaucoup de peine... Gilles est un ami de 50 ans; nous nous sommes connus sur le plateau du Capitaine Bonhomme, où j'étais bruiteur, et nous ne nous sommes jamais laissés. Gilles était un gars vraiment passionné. Je n'ai que de bons souvenirs de lui.» - Roger Giguère

«Gilles était un gars mystérieux et discret, mais il ne perdait rien de ce qui se faisait. C'était un grand observateur et ça l'a beaucoup servi ! Il avait des filières énormes de blagues. Avec tout ce qu'il a fait et tout ce qu'il laisse derrière lui, il ne faut pas être triste de son départ.» -Paul Buissonneau

«C'est une personne que je respectais énormément et avec qui j'ai eu beaucoup de plaisir. Je l'avais convaincu de faire une apparition dans le film Cabotins, qui traitait du théâtre burlesque. C'est une grande perte pour le Québec.» - Rémy Girard

«Gilles était un être humain formidable! Je garde le souvenir d'un gamin sur la plateau qui aimait faire des tours aux camarades de jeu. Il aurait pu faire du répertoire, du Molière et du Goldoni. Or, Gilles a fait le choix se consacrer au burlesque. C'est un genre honorable, le burlesque; autant que la commedia dell'arte. Les Charlie Chaplin, Buster Keaton, Red Skelton ont commencé en faisant du burlesque. » - Yves Jacques

«J'ai beaucoup appris avec Gilles. Il était d'une grande générosité. Sur la plateau, on répétait plusieurs fois une scène. Puis, lorsque venait le temps de la tourner pour vrai, pour nous déstabiliser, Gilles nous donnait une claque derrière la tête, ou faisait quelque chose d'imprévu. Pour s'amuser, mais surtout pour aider les acteurs à rester dans le moment présent, afin de ne pas jouer sur le pilote automate que.» - René Richard Cyr