La justice française a annulé jeudi l'interdiction d'un spectacle de Dieudonné, humoriste condamné à de multiples reprises pour propos antisémites, infligeant un sérieux revers au gouvernement, et en particulier au ministre de l'Intérieur à l'origine de la mesure.

Le tribunal administratif de Nantes, saisi par le comédien, a jugé que son spectacle prévu dans la ville le soir même ne pouvait «pas être regardé comme ayant pour objet essentiel de porter atteinte à la dignité humaine». Le juge a également estimé que le «risque de trouble public» ne pouvait pas fonder une «mesure aussi radicale que l'interdiction» du spectacle.

Pour justifier l'interdiction des spectacles de Dieudonné, qui entame jeudi une tournée à travers la France, le ministère de l'Intérieur avait en effet mis en avant le «risque de trouble à l'ordre public» et «l'atteinte au respect de la dignité humaine».

Dans son one-man-show Le mur, déjà présenté à Paris, Dieudonné multiplie les charges contre «les juifs», «la juiverie» ou encore «kippa-city», des attaques coutumières dans ses spectacles et pour lesquelles il a déjà été plusieurs fois condamné.

Peu après l'annonce de la décision, l'avocat de Dieudonné, Me Jacques Verdier, a déclaré que la décision du tribunal était une «grande satisfaction» pour son client. «C'est la défaite de M. (Manuel) Valls, c'est la défaite de M. (Jean-Marc) Ayrault», a estimé l'avocat, en citant le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre.

Le ministre de l'Intérieur a aussitôt annoncé qu'il saisissait «immédiatement» le Conseil d'État, plus haute juridiction administrative en France, qui se réunira à 16h.

Ces derniers jours, des juristes et associations avaient mis en garde contre la difficulté à justifier l'«interdiction préalable» d'un spectacle, assimilable à une «censure».

Dans le passé, une quinzaine de municipalités françaises ont tenté d'interdire des spectacles Dieudonné mais la justice administrative leur avait toujours donné tort, au nom de la liberté d'expression.

Même si les saillies antisémites et racistes de Dieudonné ont été très largement condamnées dans la classe politique et les médias, l'«interdiction préalable» de ses spectacles, assimilée par certains à une «censure», a suscité débat et malaise en France, y compris au sein des associations antiracistes et de la majorité de gauche.

Prise de risques

En début de semaine, la Ligue des droits de l'homme (LDH) avait estimé qu'une telle décision, «au fondement juridique précaire et au résultat politique incertain», pouvait s'avérer «contre-productive». Manuel Valls «prend le risque de fédérer autour de Dieudonné une sympathie réactionnelle de ceux qui se considèrent opprimés, socialement ou politiquement», avait mis en garde la LDH.

«Le rôle d'un responsable politique public, c'est de prendre des risques», avait rétorqué jeudi le ministre, alors que, selon un sondage CSA, seuls 52% des Français étaient favorables à l'interdiction, 64% pensant que la mesure ne serait pas efficace pour lutter contre l'antisémitisme.

Plusieurs humoristes avaient aussi jugé que l'interdiction était un «cadeau» pour Dieudonné. «Plus il dit des choses que la loi interdit, plus il est populaire», a aussi estimé le politologue Jean-Yves Camus.

À Nantes, plus de 5500 personnes ont acheté leur place, vendue 43 euros (63 $), pour le spectacle de Dieudonné, banni sur la plupart des medias mais très populaire sur internet où certaines de ses vidéos ont été vues plus de deux millions de fois.

La polémique Dieudonné intervient sur fond de montée de l'extrême droite en France, à trois mois d'échéances électorales. Si la présidente du Front national Marine Le Pen a pris ses distances avec le polémiste en se disant «choquée» par certains de ses propos, son père Jean-Marie Le Pen est le parrain d'un des enfants de Dieudonné.

Après Nantes, le tribunal administratif d'Orléans devait rendre aussi jeudi une décision sur l'interdiction d'un spectacle de Dieudonné dans la région.