Pour qui vise la conquête de Paris, il y a deux options: la guerre éclair, si possible, et la guerre d'usure, si on en a les moyens. Rachid Badouri, soutenu par la puissante maison Rozon et son organisation Juste pour rire, a opté pour la deuxième stratégie.

«La première option consistait à passer au Bataclan, une salle de 1000 places très à la mode, dit-il dans sa loge, avant le début de son spectacle. Mais au Bataclan, on ne peut pas rester très longtemps, et on n'a pas le temps d'installer un spectacle, de jouer la carte des médias. On a donc préféré le théâtre Le Temple, qui est un rendez-vous répertorié pour les humoristes et où l'on donne deux spectacles chaque soir. Je passe donc les jeudis, vendredis et samedis à 20h15, c'est-à-dire en «prime time», pour une version courte de 1h10 de mon show. On est en train de construire autour du buzz qu'on avait allumé en début d'année...»

Une rumeur prend forme à Paris autour du Québécois d'origine marocaine. Femme actuelle, magazine à grand tirage, parlait en mars du «nouveau phénomène québécois». VSD, également grand public, écrivait à peu près en même temps que «le Canadien fait salle comble avec son spectacle, qui hésite entre nostalgie et performance. Jouissif!»

L'Express, un hebdo nettement plus cadre supérieur, n'était pas avare d'éloges: «Cet humoriste monté sur piles raconte l'intégration de sa famille marocaine au Québec avec l'accent de Céline Dion, la tchatche de Jamel et les grimaces d'Eddie Murphy. Révélation de l'humour? Absolument.» Même Télérama, hebdo culturel élitiste, y était allé de compliments bien sentis.

De l'avis des professionnels, il s'agissait de débuts plus que prometteurs: «Il faut savoir qu'en pleine saison, on dénombre 250 spectacles d'humour tous les soirs à Paris, explique Marie-Laurence Berthon, l'une des patronnes de Juste pour rire en France. Un nouveau venu n'a de chances de décrocher des médias importants que s'il s'installe dans la durée. En début d'année, il a fallu attendre plusieurs semaines pour que Rachid obtienne des papiers importants - par exemple, une demi-page dithyrambique le 6 mars dans Le Parisien, le plus grand quotidien populaire à Paris. Cela vaut de l'or, car l'espace est compté.» On ne s'attend pas cette fois à avoir de nouvelles critiques dans les mêmes journaux. Mais il y aura une page entière dans le Paris Match de la semaine prochaine.

Bilan positif

Jeudi soir, en tout cas, l'humoriste semble avoir les affaires bien en main. À 20h, 15 minutes avant le lever de rideau, quelque 200 spectateurs font la queue pour avoir les meilleures places. Avec un spectacle ramassé de 70 minutes, le showman se doit d'attaquer à la première seconde. Ça tombe bien: la salle réagit au quart de tour. «Ce qui est bien, aujourd'hui, me dit-il dans sa loge, c'est qu'il n'y a pas besoin d'installer mon personnel: beaucoup de spectateurs m'ont déjà vu, soit au Trévise, soit à la télévision, ils sont déjà dans le bain et ils entraînent le reste de la salle.» Bref, ça rit dès l'ouverture et jusqu'à la fin du spectacle.

Deux semaines après ses débuts au Temple, Rachid Badouri estime que son bilan est déjà fort positif. Sa maison de production, Juste pour rire, «ne lâche jamais rien». Il y a eu un affichage massif dans le métro et sur les colonnes Morris. Côté médias, toutes les avenues sont explorées avec attention, même si, comme le dit Marie-Laurence Berthon, «elles sont de moins en moins nombreuses». Il doit rester une demi-douzaine de créneaux sur les grandes chaînes de télé, y compris des émissions mensuelles comme Les enfants de la télé.

Depuis début septembre, Rachid a quand même participé à deux grandes émissions spéciales, Rire contre le racisme et Les stars du rire, diffusées en début de soirée. Sans compter la version française du gala Juste pour rire, animée par Arthur. Celui-ci, devenu «un grand copain» du Québécois, lui accorde une place importante dans son émission hebdomadaire sur la chaîne (câblée) Comédie. Laurent Ruquier, qui anime le principal talk-show de la semaine, On n'est pas couché, connaît bien l'humoriste et n'exclut pas de l'inviter. Une responsable de la programmation du prestigieux Grand Journal de Canal+ a juré de l'inviter dès qu'il y aurait «un plateau d'humoristes». Sans parler de chercheurs de talent, côté cinéma, dont trois ou quatre sont venus voir son spectacle, «intéressés par mon côté one man show, de gars capable de danser, de chanter, de faire des grimaces».

En début d'année, il avait eu deux propositions fermes, qui ne se sont pas concrétisées pour des raisons matérielles ou d'emploi du temps. Des comédies, bien sûr, où Rachid aurait tenu de petits rôles, «avec l'accent français». Sa puissante agence, Adéquate, reste sur le qui-vive.

«Faire du cinéma? C'est le rêve de ma vie!», avoue candidement Rachid Badouri.