L'Odyssée d'Homère racontait les vingt ans de voyage d'Ulysse. L'Odysséo de Cavalia évoque les voyages que l'homme, depuis 6000 ans, a faits avec le cheval ou, plus précisément, grâce à lui.

Sans faire de parallèle entre l'impact des deux oeuvres sur la civilisation, disons d'emblée que le deuxième spectacle signé Cavalia emprunte les sentiers du premier, un succès international, pour déboucher dans un espace neuf où s'élabore une alliance nouvelle entre l'art équestre, millénaire, les arts de la scène et du cirque et la technologie multimédia mise à profit par les concepteurs de cette grandiose création.

Odysséo s'est ouvert officiellement mardi à Laval, après une quinzaine d'«avant-premières» qui ont permis de mettre au point cette production d'une extrême complexité, à laquelle participent 70 chevaux, 25 cavaliers et autant d'acrobates.

Quand on sait que l'espace physique - une scène de 2500 mètres carrés sous le plus grand chapiteau mobile du monde --  a été conçu en premier, avant le spectacle, on s'étonne moins de l'intégration parfaite de l'action et du lieu qui, mise à part l'herbe à brouter, pourrait difficilement ressembler davantage à l'habitat naturel du cheval. L'homme conçoit, construit, entraîne, soigne et, comme le directeur équestre Benjamin Aillaud dans son magnifique solo final, monte selon les règles de l'art. Le cheval, lui, le «buveur de vent» de la poésie arabe  -- ici Omerio, un étalon lusitanien de 10 ans - incarne la Beauté, simplement, peut-être cette quatrième dimension  qui touche le coeur du spectateur et place le spectacle équestre dans une classe à part.

Dans ce grand voyage qui, par images de synthèse, nous porte des îles de Pâques au canyon américain, l'itinéraire  émotif, bien sûr, se présentera différemment au spécialiste du dressage et au profane. Le premier appréciera en connaisseur la finale «épaule en dedans» du grand carrousel à 16 chevaux tandis que le non-initié pourra évaluer cette impressionnante chorégraphie sur sa stricte valeur  esthétique, y inclus celle des merveilleux costumes conçus par Michèle Hamel et le regretté Georges Lévesque (1951-2011). Pas besoin, par ailleurs, d'avoir fait partie du Cadre noir de Saumur pour apprécier la difficulté de cette liberté à 36 chevaux -- du jamais vu -- en ouverture de la deuxième partie. Nezma décide-t-il de gambader à sa guise? Les gens sourient devant son «indépendance» pendant qu'une guide ramène calmement le délinquant à sa formation. Cheval...

Dans la sphère acrobatique, Odysséo travaille sur trois plans. Au sol, dix jeunes Guinéens qui ne sont pas des cavaliers s'intègrent parfaitement au spectacle tant comme acrobates - ils pourraient faire Mamou-Dakar en backflips ! -- que comme danseurs ou «animateurs» de piste : O Alouh Gelemba ! Les Sylla et Bangoura constituent la grande découverte d'Odysséo. À côté, des «hommes-sauterelles» réalisent des figures semblables mais sur des échasses-ressorts : à ne pas essayer à la maison.

Sur la piste, des cavaliers et cavalières se livrent à des spectaculaires numéros de djigit, ce style d'équitation acrobatique du Caucase et de l'Asie centrale dont l'Ossète Guennadi Touaev, un ancien du Cirque de Moscou et de Cheval-Théâtre, est l'expert-résident. Dans le trick riding, le classique des classiques reste ce numéro du kamikaze passant sous le ventre de son cheval lancé au galop sur la piste circulaire de 15 mètres.

Pour l'innovation,  finalement, le ruban rouge va à ce numéro de tissus où quatre jeunes filles montent littéralement dans les rideaux (blancs) que s'échangent, au sol,  autant de cavaliers montés sur des étalons tout aussi blancs. Magnifique. Et magistralement accompagné par la musique de Michel Cusson, interprétée par un ensemble qui a le génie de rester discret malgré son potentiel : le compositeur lui-même à la guitare pour la première, Stéphane Allard au violon, Michel Dubeau aux flûtes, Éric Auclair à la contrebasse et Éric Boudreault à la batterie.   Quant à la chanteuse italienne Claudia Paganelli, le public a applaudi la justesse de sa voix cristalline.

Sans erreurs graves dans l'exécution, Odysséo a livré mardi une impressionnante  prestation artistique et technique.  Le nouveau spectacle de Cavalia n'en souffre pas moins de certaines longueurs et de quelques faiblesses conceptuelles. Ainsi,  la poste hongroise du début - des cavalières se tiennent debout sur deux chevaux trottant (idéalement)  côte à côte --   amène peu de choses à l'édifice équestre ou dramatique tandis que le numéro de cerceaux, bien que fort applaudi,  pourrait être présenté dans n'importe quel cirque du monde.

Rien de tout cela, toutefois, ne résiste à la force de la finale où le chorégraphié galope à fond de train avec l'imprévu. Voilà la valeur réelle de ce spectacle : Odysséo ne réinvente pas le spectacle équestre mais lui donne une dimension résolument nouvelle.  Épaule en dedans et pieds dans l'eau.  Génial.