Yvon Deschamps met fin à sa vie professionnelle et publique. C'est ce qu'il affirme dans une lettre d'excuses aux lock-outés du Journal de Montréal qu'il a fait parvenir cette semaine à ruefrontenac.com.

Le célèbre humoriste de 75 ans a refusé toute autre demande d'interview pour expliquer sa décision, a fait savoir son attachée de presse. Deschamps n'a pas beaucoup fait de scène au cours des dernières années. On se souvient qu'à l'été 2007, il a participé à une série de galas Juste pour rire où il reprenait essentiellement ses monologues connus légèrement modifiés.

Cette annonce survient peu après la mise en vente des billets du spectacle Le boss est mort, basée sur ses monologues, qui mettra en vedette Benoît Brière dans une mise en scène de Dominic Champagne au Théâtre de Quat'Sous, en février 2011. Le 4 décembre dernier, Deschamps accordait une interview au Journal de Montréal à propos de ce spectacle, dans laquelle l'artiste, qui s'est affiché publiquement pour Québec solidaire il y a quelques années, se défendait ainsi de collaborer avec un journal en lock-out: «Ce n'est pas mon combat, à moi, individuellement. Alors que, dans le passé, j'aurais pu penser le contraire, je suis plus nuancé avec les années. J'ai plutôt décidé d'être solidaire des artistes avec qui je travaille, qui ont besoin du Journal de Montréal

En début de semaine, Deschamps a fait parvenir une lettre d'excuses aux lock-outés du Journal de Montréal dans laquelle il parle de cette interview comme d'un «geste malheureux» et «insensé». «En ne voulant pas prendre parti, j'ai pris parti», écrit-il. Il ajoute: «C'est une bourde énorme que je n'arrive pas à m'expliquer vraiment.» Et il conclut en souhaitant que «cet incident malheureux ramène de la lumière sur le conflit que vous vivez et qu'il en sorte quelque chose de positif. Sinon mon erreur n'aura servi à rien.»

Zen

Le grand monologuiste mentionne aussi dans cette lettre qu'il vit depuis quelques années «de façon très zen», qu'il ne lit pas les journaux, regarde très peu les nouvelles à la télé et ne veut pas être mêlé à quelque conflit que ce soit, «même pas une discussion qui pourrait me donner du stress».

«Yvon a annoncé sa décision à Judi (Richards) et à ses filles après l'enregistrement de l'émission En direct de l'univers de France Beaudoin lundi dernier, raconte son conseiller et ami depuis 37 ans, Pierre Rivard. Il parlait de se retirer depuis un bout de temps déjà; ce n'est pas par hasard que le spectacle Le boss est mort sera monté dans quelques mois. Yvon est tanné, il fait ce métier depuis plus de 50 ans et il veut s'occuper un peu plus de lui-même pendant qu'il est en santé. L'affaire des lock-outés l'a seulement aidé à prendre sa décision.»

Quelques réactions

> Guy A. Lepage

«C'est notre parrain. Le personnage le plus emblématique de l'humour au Québec. Yvon Deschamps m'a appris qu'on pouvait être drôle et avoir du contenu... ce qui n'est pas donné à tout le monde. Plus généralement, il nous a fait réaliser à quel point on était un peuple soumis dans les années 60. Il nous a carrément réveillés. Il avait une façon de nous parler «dans la face» qu'on aurait acceptée de personne d'autre. Son humour était politique. À sa manière, il a été un tribun aussi important que Pierre Bourgault...»

> Gilles Vigneault

«Je ne suis pas très surpris. Il faut considérer qu'un gars comme Yvon... On dit des fois dans ce métier-là, «j'ai déjà donné». Lui, il a donné plus que tout le monde, je pense. Qu'il songe à laisser un peu de côté ce métier-là pour s'intéresser à autre chose, ce n'est pas surprenant. Sans avoir l'âge des plus vieux, il a quand même un âge où l'ayant fait beaucoup, d'une manière absolument spectaculaire, on a envie de dire «ben on va arrêter ça pendant que c'est encore beau». Moi, je comprends ça.»

> Guy Nantel

«Ce n'est pas une si grande surprise pour moi, je l'avais vu cet été, on avait jasé un peu, il avait évoqué ça, qu'il allait de moins en moins être vu. De ce point de vue là, l'effet de surprise n'est pas si grand, mais en même temps, c'est tellement un grand personnage que ça crée cet effet-là quand c'est confirmé. Je pense qu'il a fait ce qu'il avait à faire: il a révolutionné tout ce qu'il avait à révolutionner dans le milieu de l'humour. Il mérite de se reposer et de penser à lui. Ça va pouvoir lui faire profiter de ses moments avec sa famille. Il va voir les choses d'un autre oeil, il n'aura pas toujours à être Yvon Deschamps, l'humoriste.»

> Marguerite Blais

«M. Deschamps a fait la première version (de la campagne de publicité, libre à lui de poursuivre l'année prochaine, mais je trouve que nous avons déjà été privilégiés de l'avoir eu pour camper notre campagne contre la maltraitance.»

> Laurent Paquin

C'est le plus grand qui se retire. Rien de moins. Le plus grand. Ça me rend triste. C'est la fin d'une époque.  Je trouve que Rue Frontenac a été injuste avec Yvon. Il ne méritait pas de se faire ramasser comme ça. Il a été le plus solidaire... de tous les artiste, mais pour UNE entrevue avec le JdeM, il s'est fait planter. C'est le seul que je connais qui avait boycotté le JM.

> Claude Meunier

Tout ce que je peux dire c'est que j'admire profondément Yvon Deschamps et que je trouverais pathétique qu'il termine sa vie publique à cause d'une déclaration, qu'elle soit exagérée ou pas, répréhensible ou non... On ne peut pas terminer une carrière si importante de cette façon... Non?

Propos recueillis par Alain de Repentigny, Jean-Christophe Laurence et Chantal Guy