En 26 ans, les attentes du public ont explosé à l'égard du Cirque du Soleil. Ainsi sont entrés en scène les dépisteurs: ces têtes chercheuses qui dénichent des numéros, repèrent des artistes et traquent l'époustouflant partout sur Terre. Oui, le Cirque crée lui-même des numéros pour ses divers spectacles. Mais ces mêmes spectacles sont devenus si nombreux qu'il ne suffit pas à la tâche. Petite histoire d'un casting planétaire.

Le Français Fabrice Becker a été champion en acroski aux jeux d'Albertville, en 1992. En 2000, toutefois, il change de cap: il entre au Cirque du Soleil à titre de dépisteur de numéros d'acrobatie. À l'époque, le Cirque se tournait beaucoup vers les sports pour y trouver des «attractions» novatrices.

Depuis, le métier de dépisteur a beaucoup changé: 24 personnes travaillent désormais à temps plein au département de casting et s'affairent à combler la distribution d'un spectacle, en acrobates, en comédiens, en musiciens...

Fabrice Becker, lui, est devenu directeur de casting pour les spectacles en création (le Cirque en compte un autre pour la découverte de talents et un pour les spectacles fixes aux États-Unis et en Asie).

«Il y a environ trois ans, explique-t-il, il y a eu une transformation majeure car nous sommes passés d'une création tous les deux ans à deux ou trois par année! Auparavant, les dépisteurs étaient sur la route, mais participaient aussi aux auditions, s'assuraient de combler les remplacements dans les spectacles existants, tout en collaborant aux spectacles en voie de création.»

C'est devenu trop et même impossible, en raison de la cadence accélérée à laquelle les spectacles sont créés. En outre, chaque metteur en scène, chaque projet, a ses particularités: trouver des numéros pour Viva Elvis (inspiré de la musique de Presley) ou pour Totem, ce n'est pas la même chose. Mais dans tous les cas, les dépisteurs, désormais spécialisés (en athlètes, acrobates, danseurs, etc.) participent dès le début au processus de création d'un spectacle.

Ainsi, il y a deux ans et demi, alors que Totem était à l'état embryonnaire, l'équipe de Fabrice Becker s'est assise avec Robert Lepage. «Robert est arrivé avec sa thématique: l'évolution de l'être humain, l'équilibre, explique le directeur de casting. Nous savions aussi que ça allait être un show de tournée et sous chapiteau. À partir de là, on a essayé de l'inspirer: pour chaque spectacle, il s'agit d'un savant mélange de numéros existants (appelés numéros invités), de création interne et d'aspirations du metteur en scène.»

À mesure que le metteur en scène et son équipe de conception (costumier, décorateur, compositeur...) écrivent le spectacle, les exigences deviennent de plus en plus précises. «On va nous dire par exemple: il manque ici un musicien capable de jouer de tel instrument», explique Becker.

Des yeux et oreilles partout

Outre ses nombreux dépisteurs à l'interne, le Cirque du Soleil dispose d'un vaste réseau de gens à contrat, qui lui servent d'yeux et d'oreilles un peu partout dans le monde. Par exemple, au Japon ou en Australie, là où le Cirque ne peut être toutes les semaines.

Des exemples du travail des dépisteurs du Cirque? Pour Varekai (en 2002), le metteur en scène Dominic Champagne voulait travailler autour du thème d'Icare, ce personnage mythique qui tombe dans l'océan pour avoir volé trop près du soleil. Puis, sont apparus des sous-thèmes, par exemple la blessure, le handicap, la résilience. C'est ainsi qu'a été intégré à Varekai le chorégraphe et danseur Bill Shannon, qui avait développé seul, loin des écoles, son numéro du «CrutchMaster», où il fait des acrobaties avec les béquilles qu'il doit utiliser dans la vraie vie puisqu'il souffre d'une forme rare d'arthrite. Shannon avait été remarqué par un dépisteur du Cirque, quasi dans la rue. «Le bonheur, pour l'équipe de casting, dit Becker, ce sont toutes ces petites perles, tous ces trucs jamais faits, trouvés au bout de la planète ou au coin de la rue.»

L'équipe de casting a travaillé tout autrement pour Kooza (en 2007), qui marquait un retour aux racines pour le Cirque: elle a carrément proposé trois versions de spectacles acrobatiques. «Nous avons monté un véritable florilège de ce qui se faisait de meilleur à ce moment-là en arts du cirque traditionnels», dit Becker. La meilleure des trois versions a été retenue par le metteur en scène David Shiner, qui l'a intégrée (avec bonheur) aux nombreux numéros de clowns qu'il avait conçus en atelier au Cirque du Soleil.

Car le Cirque doit constamment créer pour se démarquer. À la manière des grandes entreprises, il finance un secteur de recherche et développement afin d'évoluer. Dans Totem, le numéro de barres russes est l'oeuvre d'acrobates qui participaient à Alegria mais ont décidé de pousser plus loin leur art.

«La création à l'interne est impérative pour les années à venir, dit Fabrice Becker, car le marché ne peut répondre à l'ensemble de nos besoins: non seulement le Cirque a besoin de beaucoup de numéros, mais il lui faut des numéros qui misent toujours plus sur la diversification et l'innovation. En 26 ans, les attentes de notre public ont elles aussi constamment augmenté.»