Robert Lepage rêvait d'un spectacle de cirque sous chapiteau depuis longtemps. À la fin du mois, il créera enfin pour le Cirque du Soleil, dans le Vieux-Port, Totem, dont il nous a donné un aperçu hier matin.

Robert Lepage se considère comme un jumeau du Cirque du Soleil qui a connu un cheminement professionnel et un rayonnement international parallèles au sien. Un jumeau qu'il retrouve avec plaisir d'autant plus que ce nouveau spectacle, Totem, doté d'un budget d'un peu plus de 25 millions, sera présenté sous chapiteau, ce dont Lepage rêvait depuis des années, alors que Guy Laliberté préférait lui confier un spectacle de «cirque dur», le de Las Vegas.«Au cirque, c'est le chapiteau qui m'intéresse le plus parce que je suis un gars de tournée, qui n'a pas encore un théâtre chez lui, pas encore du moins, a expliqué Lepage lors d'une conférence de presse sous le chapiteau du Cirque hier matin. J'aime l'idée de l'éphémère, du furtif, très présents dans la vie d'un cirque de chapiteau qui permet des spectacles comme ceux de ma compagnie, qui vont chez les gens et qui gagnent en maturité dans leurs voyages.»

Totem fait évidemment référence aux sculptures verticales des autochtones de la côte Ouest, mais Lepage y voit surtout un mot universel qui illustre bien l'esprit de sa nouvelle création: l'évolution de l'homme, depuis le têtard jusqu'à l'humain moderne qui veut s'envoler pour explorer le cosmos en quête d'une explication sur son propre cheminement.

«Ce n'est pas nécessairement un spectacle sur l'évolution de l'homme, mais plutôt sur la mémoire que notre corps a de cette évolution, corrige Lepage. Le cirque est une forme d'art très appropriée pour raconter cette histoire: les artistes ont dans leur corps des reptiles, des oiseaux; les corps se replient, s'envolent, rampent, marchent à quatre pattes.»

Lepage explore aussi, en parallèle, les grands mythes fondateurs universels: «Il y a dans la distribution des gens qui viennent des cultures amérindiennes, mais on a créé notre propre culture aborigène. Par hasard, je suis tombé sur la tortue qui, chez les Amérindiens, mais aussi dans d'autres cultures (hindoue, africaine), semble expliquer l'origine du monde.»

La scène sur laquelle se produisent les artistes de Totem est donc le ventre d'une tortue surplombé du squelette de sa carapace accroché au plafond. Pour accéder à la scène, les artistes doivent emprunter un pont amovible au-dessus de ce que l'équipe appelle à la blague le «marais à images de Robert Lepage», une surface bombée sur laquelle est projetée l'image de l'eau, entourée de plantes aquatiques.

Tribus du monde

Dans le premier des trois numéros qu'on nous a présentés hier, un artiste du sud-ouest des États-Unis danse avec des cerceaux au rythme de percussionnistes représentant quatre «tribus du monde», non spécifiques, pendant qu'on entend le chant en langue inventée d'un Huron de Québec.

Dans le numéro, très spectaculaire, des barres russes, les artistes, dont certains ont fait partie de la distribution d'Alegria et qu'on a baptisés cosmonautes, portent des justaucorps multicolores inspirés de la culture aztèque.

«Les Aztèques avaient déjà dans leur culture la conscience cosmologique», explique Lepage. L'autre numéro présenté hier met en vedette deux Québécois fraîchement diplômés de l'École nationale du cirque: Rosalie Ducharme et Louis-David Simoneau, 21 ans, spécialistes du trapèze fixe. Ils incarnent deux oiseaux, les inséparables, qui se tiraillent et s'amadouent dans des acrobaties à couper le souffle.

«M. Lepage a pris notre numéro de finissants de l'École nationale de cirque et l'a moulé pour qu'il puisse bien se marier au spectacle», expliquent-ils.

Avec Totem, Robert Lepage innove en intégrant le multimédia au cirque sous chapiteau. «Il y aura des projections du début à la fin, précise l'Australienne Gabriel Pinkstone, directrice de production. C'est un défi parce qu'un chapiteau, ça bouge, c'est un être vivant. Le vent et les mouvements acrobatiques font bouger le système de gréements, il faut donc avoir des projecteurs qui ne bougent pas trop.»

Une autre innovation, technologique celle-là, permettra à la structure de Totem d'être déplacée en un rien de temps du chapiteau à un théâtre. Ce qui permettra au Cirque du Soleil, immédiatement après les représentations à Montréal et à Québec, de répondre à la demande de son public européen en présentant Totem d'abord à Amsterdam, puis au prestigieux Royal Albert Hall de Londres où le Cirque a un rendez-vous annuel depuis cinq ans.

«Un énorme événement», dit le président Daniel Lamarre. Il ajoute: «C'est la première fois qu'on fait un spectacle sous chapiteau deux années consécutives. Normalement, c'est tous les deux ans, mais cette fois on a voulu se plier à l'échéancier de Robert parce qu'on tenait à faire ce spectacle sous chapiteau avec lui. Robert a toujours une offre permanente chez nous.»

Robert Lepage sera entouré de nouveaux collaborateurs comme la conceptrice des costumes australienne Kym Barrett, qui a travaillé à la série de films The Matrix, mais aussi de plusieurs complices avec qui il a l'habitude de travailler: le directeur de création Neilson Vignola, le scénographe et concepteur des accessoires Carl Fillion, le concepteur du son Jacques Boucher, le concepteur des éclairages Étienne Boucher et le chorégraphe Jeff Hall.

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Totem, du Cirque du Soleil, sur les quais du Vieux-Port, du 22 avril au 27 juin.