Il existe plusieurs Boucar Diouf. La tête perdue quelque part entre Montréal, Rimouski et le Sénégal, il se promenait entre ses différents moi hier soir sur la scène du Gesù. C'est là qu'il présentait L'Africassé-e, son nouveau spectacle sur l'identité et l'intégration.

La forme du spectacle elle-même est hybride. Humour d'observation, parcelles de monologues, contes et chansonnettes s'y chevauchent. Diouf appelle cela de «l'humour créole». C'est original et efficace la plupart du temps, grâce à son rafraîchissant mélange d'humour et de conte. On ne peut en dire autant des chansons qui se greffent un peu gauchement au reste du spectacle.

Cela n'a rien à voir avec sa compagne Caroline Roy qui l'accompagne joliment à la guitare. Il s'agit d'un petit problème de contenu et de rythme. Diouf prend des classiques de la chanson québécoise pour les traduire en wolof ou pour en modifier les textes. Il incarne alors le cliché de l'immigrant qui se «les gèle en crisse» dans Évangéline. On entendra aussi Agadou et la Compagnie créole.

La foule rit, mais cela ressemble au mieux à une distraction qui brise le rythme en empiétant sur les histoires drôles et captivantes du reste de L'Africassé-e.

Diouf part de son vécu pour parler d'identité. On connaît déjà son parcours: un Serer du Sénégal qui se rend à Rimouski en 1991 pour compléter un doctorat en océanographie, et qui troquera plus tard l'enseignement pour une carrière artistique et une vie de famille à Montréal.

Il utilise essentiellement deux procédés pour détricoter la laine québécoise: le langage et la posture du sage. Diouf relève comiquement les québécismes et les incongruités de notre français. «Tu veux-tu?», lui demande-t-on. «Je veux je», répond-il amusé. Il jongle aussi avec nos expressions, et va parfois un peu plus loin en utilisant notre «parlure» pour révéler quelque chose de nous.

L'autre procédé s'inspire du conte africain, ou du moins de sa famille serer. Il cite son grand-père ainsi que des aphorismes et proverbes connus pour distiller de petites gouttes de sagesse entre ses gags. On sourit, et parfois on rit et on réfléchit. C'est la force de l'humour «boucarien», comme il le nomme lui-même.

Diouf commente aussi des sujets plus épineux comme la Commission Bouchard-Taylor et les accommodements raisonnables. «La laïcité, c'est comme un barrage de castors, image-t-il. Dès qu'il y a une brèche, tout fout le camp!» Malgré ses boutades pleines d'esprit, Diouf semble avoir compris que les éditoriaux s'insèrent difficilement dans un spectacle d'humour. Pour cela, il y a le livre, et il en a déjà écrit un sur le sujet. Alors il utilise des thèmes comme la polygamie ou la burqua pour parler du couple québécois, des mouches noires et autres bêtes que le Néo-Québécois doit apprivoiser.

On le répète, Diouf est un bon raconteur, et aussi un des quelques humoristes québécois à proposer un univers réellement singulier.

C'est peut être à cause de son talent qu'on se permet de le juger plus sévèrement. Insistons: L'Africassé-e est dans l'ensemble un spectacle réussi que l'on conseille. On regrette seulement un peu qu'au lieu de nous plonger complètement dans son univers, comme le fait par exemple un Fred Pellerin, Diouf interrompt rapidement ses histoires pour changer de sujet ou pour entonner des ritournelles un peu vides.

Après avoir traité d'immigration à deux reprises, Diouf prévoit expliquer dans son prochain spectacle comment se font les bébés. Avec un peu de finition, ce pourrait être non seulement une bonne, mais peut même une grande soirée.

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L'Africassé-e de Boucar Diouf, 6 et 13 février et 5-6 mars au Gesù, et ailleurs en province.