En entrevue, Victor-Lévy Beaulieu nous a déjà confié que Sylvain Larocque était un de nos humoristes les plus talentueux, maître autant de la finesse que de la connerie jouissive. On l'a constaté encore une fois mardi soir au Cabaret Juste pour rire pour la première de son nouveau one-man show, Vu d'même.

Sa force: textes ingénieux de Larocque et mise en scène hyper efficace de Serge Postigo - un tabouret et un écran en forme d'oeil.

Le matériel est bien rendu. Sans grand éclat ou grand style, mais toujours de façon honnête et authentique, avec une voix presque radiophonique et un ton pince-sans-rire juste assez cinglant. Le contraire des personnages de scène hyperactifs qui crient en fin de phrase pour transmettre un message subliminal du genre: ok, la gang, on rit.

Le seul moment vraiment ordinaire de Vu d'même est son début. Larocque commence avec un questionnaire sur les préjugés de son public envers lui, et vice-versa. L'auto dérision sur son physique se veut sympathique, mais elle reste un peu facile et prévisible. Cela culmine à une chute originale qui curieusement sera peu exploitée.

Le spectacle n'a pas de première partie. Peut être que ce numéro d'ouverture était nécessaire pour briser la glace et réchauffer la foule. Car ce qui allait suivre était varié, original et la plupart du temps excellent.

Larocque répète - martèle - que le traitement du sujet importe plus que le sujet lui-même. Mais sur scène, il démontre en fait que les deux importent. Un excellent exemple: le numéro sur la vie, cette maladie incurable dont on mourra tous. Il s'apprécie à différents niveaux: on se bidonne des nombreux gags éclairs tout comme on réfléchit en même temps grâce au fil conducteur - la vie réduite à un concours de longévité qui ne sert finalement qu'à prolonger l'attente de la mort.

Larocque se moque aussi des petits villages, de certaines absurdités de la langue française, de notre schizophrénie politique et de ses incuries sexuelles. Le ton est souvent cru et caustique, sans toutefois chercher la provocation. Les blagues de pénis côtoient ainsi les acrobaties littéraires et l'humour parfois noir - ce style que trop peu savent ou osent manier.

Larocque s'offre un numéro de stand-up classique, un feu roulant de gags 18 ans et + balancés sans ordre, dans un décor transformé en comedy club des années 90 comme ceux où il a lancé sa carrière.

En quelque 90 minutes de spectacle, il y a certes quelques gags plus faibles, comme les grosses bibittes de Chibougameau, mais ils demeurent l'exception.

Le risque

Tout cela ne devrait pas trop surprendre de celui qui a déjà gagné quatre fois l'Olivier de l'auteur de l'année. Environ 90 % des textes de Vu d'même viennent de lui. Les autres sont signés François Léveillée, Pierre Hébert, Laurent Paquin et Daniel Gagnon.

Ce qui surprend, c'est que Larocque sort de sa zone de confort pour essayer deux nouvelles choses: parler de lui et jouer des personnages.

Il présente sa mère et dévoile ses tiraillements intérieurs, le tout avec retenue. Par exemple, il rejoue chacune des petites voix qui s'affrontent dans sa tête pour décider s'il veut un enfant ou, plus tard dans le spectacle, s'il veut une aventure à trois. Honte, fierté, romantisme et autres délibèrent ainsi. Sa performance donne une voix à tous ces petits «moi» morcelés qui, rapiécés ensemble, forment cette chose fragile appelée identité. Mais on ne se casse pas la tête. On rit.

Larocque incarne aussi René Bourassa, chef du Parti des indécis et témoin de notre schizophrénie politique. Comique, mais pas son meilleur personnage.

On voterait plutôt pour le prof de français, aussi le plus salace. Les fantasmes d'un ado sont transformés en exposé littéraire sur la copulation. Proust côtoie alors la section prose du Québec Érotique. C'est ici qu'on constate le pouvoir de la mise en scène. Une version écourtée du numéro avait été présentée dans un Gala du dernier Festival Juste pour rire. Cette fois, il y avait un écran avec les mots de l'ado en question, graduellement remplacés par la dentelle du prof. Cela accentue beaucoup l'effet comique.

Plusieurs autres détails de la mise en scène de Postigo servent ainsi les gags. Autre exemple : l'écran en forme d'oeil contient un petit cercle au centre, un genre d'iris. Durant la majorité du spectacle, la réflexion de Larocque y apparaît. Et lorsqu'on voit sur l'écran une femme désirée, la réflexion de Larocque apparaît précisément dans l'oeil de la femme. On ignore si c'est voulu, mais c'est très beau.

Soulignons finalement la musique de Dee qui sert de pont entre les numéros et appuie parfois subtilement les gags, comme le clavecin lorsque la langue est châtiée.

Vu d'même, le troisième one-man show de Larocque, est nettement supérieur à la majorité de notre production humoristique. À voir.

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Jusqu'au 24 octobre et du 21 au 26 décembre au Cabaret Juste pour rire. Ailleurs en province.