À 38 ans, après plus d'une dizaine d'années dans le métier, Alex Perron a compris que s'il ne prenait pas le risque de faire son premier show maintenant, il ne le ferait jamais. Après avoir passé l'été à roder le spectacle avec l'aide de Chantal Lamarre et Pierre Bernard, voilà que le premier humoriste québécois ouvertement gai s'apprête à conquérir le public du Saint-Denis avec Un gars c't'un gars.

Vêtu d'un t-shirt à paillettes, couleur rouge pompier, ses cheveux blonds lisses coupés en petit page, Alex Perron m'attend sagement comme un écolier qui a fait ses devoirs et qui est prêt à répondre à n'importe quelle question, y compris la plus prévisible de toutes: est-ce que le spectacle est gai?

Mais bien franchement, la couleur de ce premier one man show m'importe moins que le parcours de son créateur et interprète, un des rares humoristes québécois, sinon le seul, à afficher ouvertement ses allégeances sexuelles, et cela depuis ses débuts dans le métier.

On entend si souvent parler de la misère des jeunes gais, écrasés par le poids des préjugés et poussés au suicide ou au désespoir, que c'est étonnant, voire rafraîchissant, de voir un jeune homme qui n'a pas peur d'être ce qu'il est et qui, en plus, en a fait sa marque de commerce. Est-ce qu'Alex Perron a toujours été aussi fier d'être gai?

«Dès l'adolescence, j'ai pris le parti de ne pas être une victime. Au secondaire, je n'étais pas très grand, je ne ressemblais pas aux autres gars, mais pas question de pleurer tout seul dans mon coin. Alors dès ma première année au secondaire, j'ai décidé de tellement me mettre de l'avant, de tellement brasser d'air en étant dans tous les comités possibles et imaginables que j'ai fini par me rendre indispensable. J'avais une coupe de cheveux à moitié rasée à la Cyndi Lauper. Je portais du linge coloré à l'os et j'étais un gars différent, mais populaire sans doute à cause de mon attitude.»

Coming out

Né à Port-au-Persil, un petit village dans Charlevoix qu'il décrit comme une rue entre deux montagnes, Alex Perron n'a jamais connu son père. C'est sa mère Ginette Perron, dont il porte le nom, qui l'a élevé seule, à une époque (les années 70) où les mères de famille monoparentale n'étaient pas aussi nombreuses qu'aujourd'hui. À l'adolescence, Perron déménage avec sa mère à Beauport, en banlieue de Québec, et fréquente l'école secondaire Samuel-de-Champlain puis le cégep de Sainte-Foy avant de faire un baccalauréat en théâtre et une mineure en cinéma à l'Université Laval. À 18 ans, il fait son coming out officiel à sa mère et à sa famille.

«Je m'en souviens encore comme si c'était hier. Je me souviens de la culpabilité que j'ai ressentie parce que je savais que je faisais de la peine à ma mère, qui ne serait jamais grand-mère. Mais je me souviens aussi de l'immense soulagement que j'ai éprouvé. C'est tellement lourd et compliqué quand t'essaies de cacher quelque chose qui fait partie de toi, que tu finis par ne plus savoir ce que tu as dit et par te mêler dans tous tes mensonges. Annoncer à ma famille que j'étais gai m'a libéré d'un énorme poids.»

Les Mecs comiques

À 24 ans, Perron débarque à Montréal avec ses diplômes de l'Université Laval en poche et une envie folle de lâcher son fou et de faire de l'humour. Il s'inscrit à l'École de l'humour, où il rencontre deux jeunes mâles hétéros épanouis qui deviennent à la fois ses amis et ses partenaires de scène: Louis Morissette et Jean-François Baril, avec qui il fonde les Mecs comiques.

Dès la naissance du trio, les rôles sont clairs: il y a le jeune (Jean-François Baril), le macho (Louis Morissette) et le fif (Alex Perron).

«Le fait que je me présente comme un «fif» a créé toute une commotion, chez les gais comme chez les hétéros. Pourtant, dans mon esprit, c'était une façon de banaliser un mot et le préjugé en dessous, et de montrer que nous étions tous rendus plus loin que ça. Mais à voir les gens s'accrocher dans ce mot-là, j'ai compris qu'en fin de compte, on n'était pas tout à fait sortis du bois. Dans mon show, je dis le mot fif à l'occasion, mais je n'en fais plus une marque de commerce, sans doute parce que ce mot-là ne choque plus comme avant. Et c'est tant mieux.»

En 2002, les Mecs comiques prennent d'assaut les ondes de TQS avec 3 X Rien, une fausse téléréalité racontant la vie de Louis, Jean-François et Alex.

«La première scène de lit que j'ai tournée avec un gars, le diffuseur a eu peur et a voulu qu'on arrête tout. On l'a tournée pareil et on a eu raison puisqu'il n'y a pas eu de plaintes. Par la suite, quand je frenchais un gars dans 3 X Rien, je le frenchais goulument sans faire semblant. À la télé aujourd'hui, toutes les séries ont des personnages gais. C'est rendu très trendy sauf qu'on les voit jamais, ou du moins très rarement, s'embrasser pour de vrai. On se dit ouverts, mais dans le fond, on est un peu hypocrites.»

Un spectacle gai?

En 2006, après la fin un peu abrupte des Mecs comiques, Alex Perron se recycle en chroniqueur à CKOI-FM puis un peu partout, à Musimax (La mode en vedette), à la SRC (La fosse aux lionnes et Pour le plaisir) et même à La Presse dans le défunt cahier LP2. Il gagne bien sa vie. Il est en demande et apprécié. Il aime ce qu'il fait, mais il s'ennuie de la scène.

«C'est bizarre parce que malgré mes 15 ans dans le métier, je n'ai pas une grosse expérience de scène. D'ailleurs, les deux premiers shows que j'ai faits, je me suis rendu compte que j'étais tout seul sur scène et j'ai eu un petit moment de panique. En même temps, j'avais envie de me brasser la cage et de parler au monde.»

Leur parler pour dire quoi? Et surtout, leur parler en tant que qui? En tant que gai? En tant qu'humoriste? Ou en tant qu'Alex Perron, ex-chroniqueur de CKOI?

«Dans le fond, ce que tu me demandes, c'est si c'est un show gai. La réponse, c'est oui et non. Oui, parce que je ne peux nier qui je suis, et qui je suis colore fatalement mon show. Mais non, parce que je ne suis pas que gai. Quand je suis arrivé à Montréal et que j'ai découvert le Village gai, j'ai tripé, mais très vite aussi, j'ai eu peur du ghetto. Encore aujourd'hui, j'ai un chum, des amis gais, mais j'ai aussi besoin d'avoir des amis de gars hétéros. Et le plus drôle quand on se parle de nos vies et de nos doutes, c'est que c'est la même affaire, que tu sois gai ou hétéro.»

Dans Un gars c't'un gars, Perron s'amuse de l'influence de la culture gaie dans le quotidien des hétéros et prend en pitié ces pauvres mâles hétéros à qui l'on demande tout et son contraire, qu'ils soient roses mais pas trop, qu'ils aient une barbe mais qu'elle ne pique pas, et qui finissent par ne plus savoir qui ils sont. «Je ne changerais de place avec un hétéro pour rien au monde!» clame Perron.

Pourtant, dans ce café du Plateau, il ajoute qu'il ne veut pas être un porte-parole ni une mascotte pour la cause gaie. Qu'il n'a pas l'intention d'épouser son chum avec qui il vit dans le 450 ni d'adopter un enfant, même si cette dernière décision lui a crevé le coeur. Pour le reste, Alex Perron a hâte d'aller à la rencontre de son public et de lui montrer qu'un gai, c't'un gars aussi.

Alex Perron, en spectacle les 5, 6 et 9 octobre au Théâtre Saint-Denis.