Traduits en 25 langues depuis leur création en 1996, Les monologues du vagin ont maintenant leur version en créole, qui sera présentée demain soir à Montréal. Un pari audacieux, explique la dramaturge, comédienne et metteur en scène Florence Jean-Louis Dupuy.

Q Traduire Les monologues du vagin en créole, c'est un exercice difficile?

R Difficile, en ce sens qu'il y avait un gros risque. Chez nous, normalement, la sexualité féminine est un sujet tabou. Ça change un peu avec la nouvelle génération, mais il n'y a pas si longtemps, c'était impossible d'en parler ouvertement. Si on en parle, on est de mauvaise vie. On est cataloguées. Alors que les hommes, eux, parlent toujours de sexe de manière grivoise. Pour les actrices qui ont accepté de me suivre dans cette aventure, c'était donc un défi. Elles ont dû affronter leur famille. L'aborder de notre point de vue, c'était déjà choquer les gens. Il y avait matière à scandale.

 

Q Finalement, quel accueil avez-vous reçu?

R C'est passé comme une lettre à la poste. On l'a jouée sept fois, ce qui est un record, parce qu'en général en Haïti, les pièces ne dépassent pas deux fois. Elle a eu beaucoup de succès. On ne s'y attendait pas. Les gens se sont battus pour avoir des billets. Comment l'expliquer? Sûrement par plusieurs facteurs. Le mélange de créole (30%) et de français (70%). L'ajout de chansons et de danse, pour que les Haïtiens s'identifient davantage. Ou peut-être que, tout simplement, notre société avait besoin de ça...

Q La pièce d'Eve Ensler est considérée comme un pilier du féminisme. Où en est-on à ce chapitre en Haïti?

R Il y a beaucoup de retard à rattraper, mais en même temps c'est une situation assez ambiguë parce que la femme haïtienne vit à la fois dans une société machiste et matriarcale. La femme paysanne devient souvent chef de famille monoparentale parce que l'homme est un peu partout avec quatre ou cinq femmes. Ce qui fait que sa parole est sacrée. Mais dans les grandes villes, le féminisme a encore beaucoup de chemin à faire. Sur le marché du travail, l'homme est nettement favorisé. On a des femmes exceptionnelles qui ont fait leur chemin. On a une femme premier ministre. Même les femmes metteurs en scène, nous n'en avons que deux et c'est déjà révolutionnaire! Mais ça reste des parcours individuels. Ce sont des femmes qui ont eu un itinéraire un peu particulier et qui, tout compte fait, font un petit peu peur je pense!

Q Pour finir, chouchoun, c'est bien le mot créole pour vagin?

R C'est le mot que je dirais à ma fille. Quand je ne veux pas trop la choquer. Parce que c'est mignon. C'est plus admis. Il y a des mots plus vulgaires comme coco ou bobot, mais ils sont souvent utilisés de manière péjorative. Même moi, qui ai franchi le tabou, je ne les prononce pas facilement... Il faut bien qu'un jour on arrive à le dire sans problème. En Haïti, le titre de la pièce était Pawol Chat. Le mot est très ambigu parce qu'il évoque à la fois l'animal et la chatte de la femme. Mais ici, nous avons opté pour chouchoun. Pour que ça passe mieux.

Pawol Chouchoun (Les monologues du vagin) Demain soir, 19h, complexe Cristina, 6566, rue Jarry Est. Informations et billets: 514-882-3334 ou www.ticketpro.ca