De tous les Starmania que j'ai vus, celui dont on a assisté à la première samedi est de loin le meilleur. Parce que les voix sont très belles. Parce que les arrangements symphoniques sont réussis. Parce que la mise en scène est bien pensée. Mais aussi parce que c'est la toute première fois que le disque de 1978 est mis de côté au profit de l'histoire, de l'oeuvre et de la représentation. Enfin.

Il aura donc fallu 30 ans - la première mise en scène de Starmania remonte au mois d'avril 1979, au Palais des congrès de Paris - pour que le fameux «opéra rock» de Luc Plamondon et Michel Berger devienne une oeuvre à part entière, c'est-à-dire un opéra en bonne et due forme, doublé de l'énergie du rock, avec un livret qui se tient et une progression dramatique digne de ce nom. On remerciera pour cela l'Opéra de Québec et la Société du 400e anniversaire de Québec, qui ont fourni l'occasion voulue pour une telle transformation. Et on remerciera encore plus le chef d'orchestre Simon Leclerc ainsi que les metteurs en scène et concepteurs visuels Michel Lemieux et Victor Pilon, qui ont permis à ce Starmania d'entrer dans une nouvelle ère.

L'excellent Simon Leclerc avait déjà orchestré en 2004 les grands airs de Starmania pour l'Opéra de Montréal. Cette fois au pupitre de l'Orchestre Métropolitain du Grand Montréal (en 2004, c'était Jacques Lacombe), Leclerc a poussé encore plus loin son travail d'arrangeur hors pair et insufflé à la partition de Berger une vitalité étonnante. Puisant son inspiration dans des oeuvres fortes - Porgy and Bess de Gershwin, West Side Story de Leonard Bernstein, mais aussi La flûte enchantée de Mozart, The Planets de Holt sans oublier un peu de Carl Orff - et s'appuyant sur son propre talent de compositeur, il a donné à la musique de Michel Berger une force peu commune. Et l'OM, sous sa direction, était manifestement inspiré.

De leur côté, les metteurs en scène Michel Lemieux et Victor Pilon ont misé sur la sobriété et l'efficacité de projections vraiment pertinentes sur un décor tout en verticalité, utilisant toute la hauteur de la scène de Wilfrid-Pelletier pour mieux marquer le contraste entre le gigantisme des gratte-ciel de Monopolis et les petits humains écrasés par cet univers de béton. Et ils ont eu plein d'autres bonnes idées, comme transformer le personnage de lecteur de nouvelles Roger Roger, qui venait toujours ralentir l'action dans les versions précédentes, en lecteur virtuel (c'est James Hyndman qui prête ses traits et sa voix à la vidéo).

Ils ont aussi - et ça ne plaira peut-être pas à tous - transformé le numéro Ce soir on danse à Naziland en duo quasi militaire, pas mal moins «dance» mais beaucoup plus au service de l'histoire. Ils ont surtout donné plus d'importance au personnage de Marie-Jeanne, la serveuse automate, de telle manière qu'on suit beaucoup mieux et plus intensément l'histoire par ses yeux à elle.

Des interprètes d'exception

Ce qui nous amène à parler de l'exceptionnelle distribution de ce Starmania symphonique. Avec sa voix gorgée d'émotion, la soprano Marie-Josée Lord campe une Marie-Jeanne tout simplement extraordinaire, dépouillée enfin de son misérabilisme: elle n'est plus pitoyable ou souffreteuse, elle est simplement malheureuse, incroyablement, désespérément. Tout comme en 2004, le ténor Marc Hervieux est tout simplement impeccable en Zéro Janvier, grâce à sa diction parfaite, à sa prestance, à ses dons de comédien et à son timbre si solide, si habité. Quant à Lyne Fortin, elle est carrément époustouflante et s'attire les ovations les plus senties tant elle chante aussi bien qu'elle joue: c'est une interprète complète, capable de faire rire une salle avant de la prendre aux tripes, une Stella Spotlight à la fois comique et tragique, entre Evita Peron, Alys Robi et la Gloria Swanson de Sunset Boulevard. Et que dire du duo Ego trip, qu'elle chante avec Marc Hervieux, sinon que c'est un morceau d'anthologie?

Mais ça ne s'arrête pas là. Le baryton Étienne Dupuis en Johnny Rockfort et la soprano Krista de Silva en Sadia la travestie ont particulièrement bien chanté et joué lors de la première, samedi, et ont donné à leurs personnages l'importance qu'ils méritent dans l'histoire. Quant au choeur de l'Opéra, ses membres ont été à la hauteur, s'improvisant badauds ou manifestants, selon les tableaux. Je suis un peu moins convaincue de la nécessité des danseurs, qui occupent un peu trop et parfois inutilement l'espace (sans compter qu'ils font parfois du bruit en retombant sur le sol...) dans des numéros où les protagonistes seuls seraient suffisants.

Mais c'est une broutille, comme ces trombones un peu trop forts pendant Les uns contre les autres, en regard de tout ce que ce Starmania a de réussi et de prodigieusement beau. Enfin, il faut remercier Luc Plamondon d'avoir accepté que les paroles de Le monde est stone soient un tout petit peu modifiées: en cette période de crise et d'inquiétude, où le terrorisme et le totalitarisme menacent de toutes parts, l'hymne désespéré qui clôt Starmania ne se termine plus par «me laisser mourir» mais par «je cherche le soleil», chanté de façon incomparable par Marie-Josée Lord. Michel Berger aurait beaucoup aimé...

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Starmania par l'Opéra de Montréal et l'Orchestre Métropolitain du Grand Montréal, présenté à la salle Wilfrid-Pelletier jusqu'au 28 mars.