Chaque année à Paris, le gotha international du cirque se réunit pour admirer les nouveaux prodiges formés par les écoles de cirque de Chine, de Russie, d'Europe de l'Ouest et d'Amérique. Où Montréal fait désormais figure de plaque tournante. Les patrons du célèbre Barnum, du Cirque du Soleil, du Cirque Éloize, mais aussi Franco Dragone ou les représentants actuels de la dynastie française des Fratellini viennent à la pelouse de Reuilly «faire leur marché» pour leurs prochains spectacles.

Nous voilà à la «pelouse de Reuilly», à la lisière est de Paris. Un vaste espace où les Parisiens viennent se promener les jours de congé. Qui accueille pour une longue période pendant la belle saison la célèbre Foire du trône, l'équivalent - provisoire et démontable - du défunt parc Belmont.

 

Le reste de l'année, la pelouse de Reuilly est consacrée au cirque. Ou plutôt: aux cirques. Certaines compagnies ne sont là que de passage: on y a vu le Cirque Éloize à ses débuts. Certains grands chapiteaux y ont leurs habitudes et leurs saisons réservées. Ainsi, le cirque Phénix, fondé et dirigé par Alain Pacherie depuis une vingtaine d'années. Il a chaque année ses trois mois réservés à Reuilly et accueille diverses productions, venues de Russie, de Chine, d'Europe ou d'Amérique.

Mais le Festival du cirque de demain, qui a célébré pendant quatre jours à la fin du mois de janvier sa trentième présentation, est un événement à part dans le calendrier «circassien». Fondé en 1979 par Dominique Mauclair, aujourd'hui présidé par Alain Pacherie, ce festival est en quelque sorte le Mondial, le plus grand concours international des arts du cirque. Du moins pour ce qui est des nouveaux artistes, frais diplômés des écoles ou jeunes professionnels.

«Il y a bien quelques festivals, en Chine ou en Russie, mais ils programment des artistes confirmés, que les producteurs connaissent déjà, explique M. Pacherie. Le festival du Cirque de demain propose au contraire de jeunes artistes en début de carrière, encore inconnus même dans le monde du cirque. Je passe une bonne partie de l'année à faire le tour des festivals régionaux des grandes écoles de cirque pour connaître les nouveaux diplômés, en Russie, en Ukraine, en Chine, en Europe. Les numéros que je propose à Reuilly représentent sans doute le meilleur de ce qui se fera demain sous les grands chapiteaux du monde. C'est pourquoi tous les directeurs de compagnie, tous les créateurs viennent ici faire leur marché, trouver de nouveaux virtuoses, de nouvelles idées de numéros.»

Et en effet, dans la loge VIP où l'on m'a installé en bordure de scène, le grand énergumène qui dépasse tout le monde d'une tête est un certain Paul Binder, patron du Big Apple Circus, établi à New York et aussi connu aujourd'hui que Barnum. À sa droite, le Belge Philippe Haenen, directeur de casting de Franco Dragone - lui aussi présent bien entendu. Un peu plus loin, Gilles Ste-Croix du Cirque du soleil, Valérie Fratellini, l'une des descendantes de la plus célèbre dynastie française du cirque, Shana Carroll, cofondatrice des 7 doigts de la main. Et, bien sûr, l'un des patrons de Barnum. Une belle brochette de directeurs russes, chinois, ukrainiens. N'en jetez plus, la cour est pleine: la fine fleur du cirque mondial - qu'il soit traditionnel ou «nouveau» - a fait le voyage à Reuilly pour découvrir les prodiges qui enflammeront demain le public des chapiteaux.

«Ce qui est formidable avec notre festival, dit Alain Pacherie, c'est que les jeunes artistes qui s'y produisent repartent tous avec un engagement en poche. Pas seulement les médaillés d'or et d'argent: la vingtaine de numéros de 2009 ont d'ores et déjà des contrats en poche. Parfois, ils sont recrutés pour être intégrés à des spectacles élaborés, comme en produisent Éloize ou le Cirque du Soleil. Parfois, ils sont embauchés à titre individuel, par exemple dans ces «cabarets», une spécialité allemande, où ils donneront leur numéro à l'état brut.»

Parmi les numéros qu'on ne verra malheureusement pas à Montréal, citons un jeune groupe tunisien qui exécute un très beau numéro à la fois théâtral et virtuose autour du «mât chinois». Ou cet exercice de clown du Français Étienne Saglio, qui court après de mystérieux oiseaux de papier qui se déplacent dans l'air.

«Il est certain que c'est ici un lieu exceptionnel pour recruter de nouveaux virtuoses, explique Philippe Haenen. Franco Dragone (aujourd'hui basé en Belgique, ndlr) est en train de mettre au point son nouveau spectacle, qui aura une composante équestre. S'il trouve un artiste qui le séduit, il lui propose d'adapter son numéro, parfois en profondeur, pour l'intégrer à son scénario. Ainsi, cette trapéziste australienne, qui fait aujourd'hui des prodiges techniques qu'on n'avait jamais vus auparavant, l'intéresse au plus haut point.»

Il s'agit de la trapéziste Emma Henshall, qu'on a vue défiler en début de spectacle en compagnie de tous les autres concurrents, arborant leur drapeau national. Une superbe fille blonde en robe noire moulante et talons aiguille.

La médaillée d'or de cette année propose l'un des trois numéros de 2009 sélectionnés pour Montréal: «On l'a choisie il y a deux jours, avant même de savoir qu'elle aurait l'une des deux médailles d'or, dit Stéphane Lavoie, directeur artistique de la TOHU. Mais en fait, tous les professionnels savaient dès sa première exhibition qu'elle aurait l'or ou l'argent. La même chose pour le formidable numéro chinois d'équilibrisme par le groupe Rola Rola.»

Quelques autres finalistes de 2009 auraient avantageusement pu figurer au spectacle prévu à la TOHU. Mais pour Alain Pacherie, qui avait le dernier mot sur la sélection, il n'y a pas de regret à avoir: «Le choix que nous avons constitué pour Montréal sera la crème de la crème. Ce sont tous des médaillés d'or et d'argent, les meilleurs parmi les meilleurs: une affiche éblouissante, d'autant plus qu'ils ont en plus gagné en maturité. Malgré leurs engagements nombreux, et par amitié pour le Festival du cirque de demain, ils ont accepté cette invitation. Ce sera une réunion de virtuoses comme on en voit rarement en un seul spectacle.»

Le Festival du cirque de demain, du 17 février au 28 février à la TOHU (2345, rue Jarry Est), dans le cadre du festival Montréal en lumière.

 

Ce qu'on verra à la tohu

Maître de piste: Calixte de Nigremont

L'École nationale de cirque de Montréal: numéro d'ouverture.

Emma Henshall (Australie), trapèze ballant, médaille d'or 2009.

Troupe du chemin de fer (Chine), équilibre sur rouleaux, médaille d'or 2009.

Justine Méthé-Crozat (France) et Philippe Renaud (Canada), main à main, médaille de bronze 2009.

Isabelle Vaudelle (Canada), contorsion air et soie, médaille d'argent 1997.

Daniel Cyr (Canada), roue Cyr, médaille d'argent 2003

Le duo Tr'Espace (Suisse/Allemagne), diabolo, médaille d'argent 2004.

Dima Shine (Russie), équilibriste, médaille d'or 2007.

Alexandre Kulakov (Russie), jongleur, médaille d'argent 2008

Serguei Tymofieiev (Ukraine), équilibriste, médaille d'or 2008.

Wei-Liang Lin (Taiwan), diabolo, médaille d'or 2007,