Il y a quelques années seulement, André Sauvé sortait d'une profonde déprime, était peintre en bâtiments et cherchait une explication à toutes ses névroses. Puis, un concours d'humour remporté en 2005 a tout fait basculer. Voilà maintenant le grand garçon de 42 ans, seul, sur une scène, pendant près de deux heures.

Certains vont au Labrador pour travailler. D'autres, pour donner un sens à leur vie et mettre le doigt sur des bobos. Il y a quelques années, André Sauvé a décidé de partager une hutte avec des Micmacs pour tenter de comprendre qui il était. «Je me suis retrouvé dans un exigu sweat lodge amérindien, cordé. Devant moi, il y avait un trou dans lequel on avait déposé de grosses roches rouges. Puis, on a fermé la porte pendant deux heures! J'ai eu tellement chaud! Je devais me mettre le nez à terre pour respirer.»

 

Racontée par l'humoriste névrosé, la thérapie vaudrait à elle seule un numéro dans le spectacle solo qu'il s'apprête à présenter au Monument-National. Étonnamment, elle ne fait que figure d'anecdote au cours d'une entrevue. «J'ai consulté beaucoup, avoue Sauvé. J'ai tout essayé, j'y suis allé à fond!»

Se considérer «hypocondriaque psychologiquement» vaut son pensant d'or... pour les thérapeutes, psychologues, psychiatres et voyants de la planète. Dix ans de recherches existentielles ont mené André Sauvé à dépenser 25 000$ en thérapies et en cours de relation d'aide. «Je les ai toutes faites! Du thérapeute straight qui te demande simplement de t'asseoir sur une chaise à celui qui attend de toi un cri primal tout nu dans la boue.

«J'ai toujours eu besoin d'entretenir une certaine folie dans ma tête, ajoute André Sauvé. Il y a trois ans, j'étais sûr qu'il y avait des entités qui venaient saboter mes affaires, que ce n'était pas moi qui menais ma propre vie. J'ai donc consulté un voyant... qui a conclu qu'il n'y avait pas d'entités. Une fois sorti de son bureau, je l'ai entendu dire: j'espère que ce ne sera pas aussi complexe avec le client suivant!»

Pas sportif, l'humoriste

S'il faut blâmer quelqu'un ou quelque chose pour tant de questionnements, pointons l'adolescence de l'humoriste vécue péniblement à Lachine. Une période que l'enfant chétif qu'il était a détestée, faite de cours d'éducation physique et de joutes de football à l'école dont il se serait bien passé. «Les cours d'éducation physique, je n'y suis plus allé à partir de ma troisième secondaire. J'étais gros comme un clou. Quand on formait les équipes de football, j'étais toujours le dernier choisi. Et on ne nous proposait rien d'artistique en revanche.

«Durant l'adolescence, je suis devenu solitaire et je me suis posé bien des questions, raconte encore André Sauvé. Quitter l'enfance m'a fait freaker. Je ne comprenais pas qu'on puisse tant changer en un été. Je me suis alors refermé sur moi-même et questionné.»

Chaque jour, il attendait avec impatience la fin des cours pour se sauver à la maison, où il faisait bon vivre en compagnie de ses quatre frères et soeur, son père dessinateur industriel pour la Dominion Bridge et sa mère «reine au foyer». «Je viens d'une famille traditionnelle et non dysfonctionnelle, dans laquelle on rit beaucoup, soutient le cadet. Je suis le seul frisé, mais pas le mouton noir.»

L'humoriste a tout de même attendu impatiemment la fin de ses études secondaires pour s'évader et mieux respirer. Il a, en effet, mis le cap sur l'Europe, Israël et l'Égypte pendant un an à l'époque. «Je voulais voir de la planète! Je suis revenu six mois à Montréal puis reparti sept mois dans l'Ouest canadien. Je n'étais pas capable de retomber dans le moule.»

Le poids plume de l'humour

Est-il nécessaire d'écrire qu'André Sauvé est une drôle de bibitte dans le milieu de l'humour? Il n'y a pas que ses névroses qui le rendent singulier. Mais aussi son parcours (des cours de danse indienne plutôt que d'humour à l'École nationale de l'humour), la façon avec laquelle il s'exprime (Monsieur rrrroule ses «r» comme une religieuse), sa tête bouclée comme un petit Jean Baptiste et sa carrure... si l'on peut s'exprimer ainsi. Combien pèse l'humoriste filiforme? «Je suis gêné de répondre... 120 et quelques livres. Mouillé, je vais chercher 130 livres! Je brûle tout ce que j'avale. Et de ces temps-ci, j'ai de la misère à me nourrir. Quand je suis stressé, manger me lève le coeur.»

À quelques jours de la première montréalaise de son spectacle, le moment serait mal choisi pour devenir un boxeur poids lourd. En entrevue cette semaine, celui qui a récemment perdu huit livres lors d'une série de spectacles à Magog combattait une laryngite. La voix n'a pas failli pendant l'entretien, mais son propriétaire l'a ménagée le plus possible. «Il paraît que ça dure 10 jours. J'aurai donc une journée de répit avant la première.»

On imagine sur sa table de chevet tous les sirops en vente libre dans les pharmacies! «Je ne suis pas trop médicament, dit-il étonnamment. Pour la laryngite, je n'ai que des suppositoires et de l'Ativan pour pouvoir dormir. Sinon, des jus de carottes font l'affaire. Mon médecin m'a dit: je crois que tu es un peu anxieux!»

Bon diagnostic, docteur! Mais André Sauvé ne peut plus reculer. «Quand Juste pour rire a fixé les dates de spectacles, il y a un an, j'ai demandé jusqu'à quel moment je pouvais tout annuler! se rappelle-t-il. On m'a répondu à la fin du mois d'août.»

Pas en manque d'attention

L'horaire est chargé. En plus de ses chroniques à 3600 secondes d'extase (le samedi soir, à Radio-Canada) et la préparation d'un numéro pour le spectacle Les parlementeries IV, présenté à la fin du mois, plusieurs entrevues et passages à la télé (il est invité à Tout le monde en parle demain) meublent son agenda.

En fait, tout se bouscule pour l'humoriste depuis qu'il est allé déconstruire le poème Soir d'hiver de Nelligan lors d'un concours d'humour dans le Bas-du-Fleuve (qu'il a gagné), il y a trois ans. Le défi lancé par un ami s'est rapidement transformé en contrat de gérance avec l'équipe d'Yvon Deschamps et en prestations ovationnées au Théâtre Saint-Denis dans les galas Juste pour rire. Ses numéros aussi inattendus qu'absurdes, notamment La collection et La confusion, livrés par un garçon drôlement torturé, ont fait mouche.

André Sauvé a remporté l'Olivier de la découverte de l'année 2008. À 42 ans! Il doit maintenant vivre avec une notoriété qu'il est loin d'avoir apprivoisée. «J'ai tout le temps le sentiment d'être le sosie de quelqu'un de connu et d'être pris pour lui... Le manque de confiance me permet de garder les deux pieds sur terre. Jusqu'à tout récemment, je n'aimais pas être sur scène. J'acceptais difficilement les applaudissements. Je ne comprenais pas les gens qui disaient: j'ai eu la piqûre de la scène.»

Paradoxalement, encore aujourd'hui, André Sauvé n'apprécie pas les bains de foule. Encore moins l'attention. «Lorsqu'il y a trop de monde, trop longtemps, autour de moi, je me tanne. Je suis excellent pour disparaître lors d'un party!»

L'humoriste a tout de même choisi de se jeter dans la gueule du loup et pratiquer un métier devant des centaines de personnes à la fois. «Sur scène, il y a un moment où on est extrêmement seul, note-t-il toutefois. Si le bateau coule, c'est seulement moi qui le fais couler. J'envie les groupes, les duos.»

Pour l'instant, c'est en solo qu'il se présente au public avec un premier spectacle en carrière. Pendant près de deux heures, il jase médicaments, fait une crise d'angoisse à l'épicerie, raconte le bonheur de collectionner des outils et récite de la poésie. Nul doute, sa nouvelle carrière d'humoriste donne une soudaine utilité à ses névroses. «Elles sont aujourd'hui un terreau fertile pour créer.»

André Sauvé en spectacle au Monument-National, du 6 au 11 octobre et du 12 au 15 novembre.